Réalisateur : Eric Gravel
Scénariste : Eric Gravel
Actrices et acteurs principaux : Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich
Mon vrai métier : vétérinaire pour animaux mythiques et légendaires
Date de sortie : 16 mars 2022
Où le voir : en salle
Synopsis officiel : Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.

Si mener une vie emplie de plusieurs tâches semble aujourd'hui être la norme (travailler, s'occuper des enfants, faire les comptes, avoir une vie sociale), sommes- nous tous prêts et armés pour affronter un quotidien qui s'amuse parfois à nous tester ? Quitte à se surpasser, dans A plein temps, Julie nous dévoile ses secrets.

Avec A plein temps j’ai pris une claque. Pas la claque cinématographique que l’on imagine souvent. Tu sais, celle que tu as quand tu découvres sur grand écran une œuvre monumentale et qui te touche dans son image, sa grandeur, sa décadence, sa musique, sa mélancolie, et/ou même tout ça en même temps. Non, à plein temps m’a donné une grande claque qui demeure intérieure, infiniment émotionnelle et personnelle. Elle m’a touchée en mon Moi profond et m’a bousculée de deux façons distinctes.

A plein temps
Oui, même débordée je grille tout le monde à 123 soleil ! - © Haut et court

D’une façon réellement stressante et anxiogène de prime abord. Je me suis retrouvée dans la peau de cette jeune maman pleine d’énergie qui ne laisse quasiment jamais rien paraître de sa situation devant les autres et même devant elle-même. Pourtant, je n’ai pas du tout la même trajectoire de vie, même si j’ai connu moi aussi des galères de boulot et d’insupportables attentes de transports en commun. Mais je ne vis pas à la campagne, loin de tout, je n’ai pas d’enfants à faire garder et je ne connais absolument pas les affres liées à la séparation du conjoint qui ne verse pas sa pension alimentaire, ni même les métiers de l’hôtellerie de luxe. Comme tu peux le voir, rien en commun, et en même temps tout.

En visionnant le film, la première forte impression qui a émergé en moi est celle de vitesse, non pire en réalité, de précipitation. Quelque chose ne va pas et affole mon cerveau qui me crie « alerte, alerte » ! Tout va trop vite, rien n’est appréciable dans ce train de vie emporté par un emploi du temps dément et subi. Mais Julie, elle, n’a pas le choix. Levée tôt, en mode automatique, elle enchaîne les petits déj des enfants, le bain, les gamelles, le dépôt chez la voisine-nounou, le trajet de chez elle (à pied, en train, en bus, au pas de course) jusqu’au travail, les arrangements pour boucler les fins de mois, les remarques et coups de fil désagréables. A la fin de sa journée, une expression me vient à l’esprit : sans retour. Rien qu’à voir ce mode de vie, je m’avoue quelque chose que je sais déjà. Ce mode de vie est vécu par une infinité de personnes au quotidien. Il impacte notre santé, notre mental. Il pourrait relever d’un choix, mais il semble pourtant trop lourd à porter pour le qualifier ainsi.

Mon cœur s’emballe lorsque je vois Julie continuer sa semaine. Les grèves se durcissent, l’anniversaire de son fils approche et son ex-mari, injoignable, n’a toujours pas versé la pension alimentaire. Suis-je trop empathique ou le film a-t-il à ce point su insuffler la bonne dose de réalisme pour que je ressente un profond malaise ? Dès les premières images de la grisaille parisienne, je me suis sentie mal. Dès l’annonce des retards de transports, je me suis sentie agacée. Devoir arriver en retard et assurer son job comme si de rien n’était semblait presque trop dur à regarder pour moi. Je me suis surprise à détester la ville, les transports, la foule, le bruit, tout ça en même temps et en regardant juste un film.

A plein temps
Si je saute maintenant, je peux choper le camion jaune et arriver à l'heure au boulot - ©Haut et court

Mais aussi, A plein temps révèle quelque chose de fort en nous. J’en suis presque surprise lorsque je l’écris parce que, n’ayons pas peur des mots, cela reste un film, cela reste du cinéma, une fiction. Chacun réagirait à sa façon quand le dimanche soir, après un week-end d’anniversaire quasi parfait et un grand repos mérité, ton gamin chute durement du trampoline que tu lui as offert. Le répit de vie normale et apaisée que tu as eu s’effondre et tu retombes dans une situation grave et urgente. Chacun réagirait à sa façon lorsqu’au bout du rouleau, pour la énième fois, il faut faire « attention au passage d’un train » en gare. Je me suis vue à la place de cette femme en pensant « certains auraient sauté », pour en finir et parce que tout partait vraiment en vrille dans sa vie.

Aussi surtout, le « plein temps » du film raisonne au-delà de ce temps que nous choisissons, ou pas, d’occuper. Dans la vie de Julie, il reste parfois seulement quelques heures de sommeil sur un laps de temps de 24 heures. Je me suis demandé si elle récupérait vraiment, si son sommeil était réellement vécu comme un bienfait. En réalité, je pense qu’elle n’a plus la place pour réfléchir et se tourmenter. Les ennuis arrivent et s’enchaînent. L’expérience, via la vie de Julie, est immersive. Elle m’a emportée, fait suffoquer de stress, de peur, d’injustice, de colère. Après une anxiété enflammée et qui s’accroît au fil du film, je reste à chaque fois soufflée par l’inventivité et le courage de cette femme qui, définitivement, est pour moi plus proche de l’héroïne que de l’être humain. A plein temps est une leçon de vie inimaginable et qui demeure en ce qui me concerne et à ce jour, au-dessus des mots. On vit la vie de cette femme de manière viscérale, même si par procuration. Aucun temps mort pour elle comme pour nous. 

Et alors que certaines situations du film m’angoissent à un point trop fort, il laisse aussi éclater au grand jour le courage et la dignité incroyable de mon héroïne. Cette dernière laisse peu de temps à son cerveau pour ne pas envisager des solutions. Il n’y a quasiment plus de place à la négativité. Juste constater que la situation nous échappe et qu’il faut trouver autre chose, parce que, de toute façon, il n’y a rien d’autre à envisager, il n’y a aucune place, je dis bien aucune, pour l’abandon ou les pleurs. Lorsqu’elle tombe, elle se relève inlassablement et essaie différemment. Les seuls temps morts sont ceux de la réflexion de Julie lorsqu’un nouveau souci surgit. Alors, comme inspirée, elle s’isole un court moment, quel que soit l’endroit, et sait. Elle sait ce qu’il faut faire et où aller.

A plein temps
Je vais bien, tout va bien, je suis gaie, tout me plaît - © Haut et court

Ce film, c’est la faculté d’adaptation que porte Julie en elle. Au-delà de ce qu’elle a choisi – un mode de vie isolé et à la campagne – elle assume tous les soucis liés au reste : travail, entretien d’embauche, transports, vie sociale détériorée. Sans doute parce qu’elle a fait ce choix en s’appuyant sur le “bon”, elle résout tout ce qui découle du “mauvais”. Si nous ne sommes sans doute pas tous prêts à assumer certains modes de vie, cela me fait tout de même dire que si elle peut surmonter tout cela, alors nous le pouvons tous.

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