Réalisateur : Tom Shadyac
Scénaristes : Jim Carrey & Jack Bernstein
Actrices et acteurs principaux : Jim Carrey, Courteney Cox, Sean Young
Mon animal de fiction préféré : Mr. Fox
Date de sortie : 29 mars 1995 en France
Où le voir : Streaming (Netflix, Prime), VOD, support physique
Synopsis officiel : Ace Ventura, un jeune homme décontracté à la banane arrogante et à la démarche élastique, est le Sherlock Holmes de la gent canine. Le voici à nouveau sur les dents quand le dauphin Flocon de neige, la mascotte de l’équipe de football americain de Miami, manque à l’appel.
Décrite par certains comme la meilleure comédie de tous les temps, Ace Ventura a surtout été un drame pour la communauté LGBTQ+.
Pour reprendre les mots d’Estonius sur Allocine, Ace Ventura est « profondément débile et outrancier », en plus d’être « homophobe et transphobe jusqu’à la nausée ».
Dans ce film, ce sont particulièrement deux scènes qui posent problème. Attention spoilers.
Ace Ventura, le « détective pour chien et chat », interprété par Jim Carrey, cherche à trouver le méchant qui a kidnappé un dauphin. Au cours de son enquête, il découvre que la coupable est la lieutenante de police, Lois Einhorn, qu’il a embrassée un peu plus tôt dans le film. L’horreur pour lui, car il comprend également que la lieutenante n’est autre que l’ancien joueur de football américain, Ray Finkle, qui a depuis changé de genre. Complètement dégoûté rétrospectivement d’avoir embrassé un homme, Ace part vomir, se lave la bouche en vidant le tube de dentifrice, s’aspire le visage avec une ventouse destinée aux toilettes, brûle ses vêtements, part se doucher en pleurant toutes les larmes de son corps, avant de s’enfiler tout un paquet de chewing-gum (vidéo à l’appui).
Un peu plus loin dans le long-métrage, au moment de la confrontation finale, Lois/Ray est encerclée par les policiers et Ace tente de faire sa grande révélation. Il veut montrer que la lieutenante est en réalité un homme qui cherche à se venger d’une histoire liée à son passé de joueur de foot. Le personnage de Jim Carrey, persuadé de sa théorie, commence à la déshabiller devant tout le monde. C’est la stupeur générale quand transparaît la forme d’un pénis au niveau d’une culotte filmée en gros plan. Les témoins de la scène se mettent tous à cracher ou à se frotter la langue ; certainement dégoutés, eux aussi, d’avoir embrassé un homme qu’ils pensaient femme (vidéo à l’appui).

J’ai trouvé ces deux scènes particulièrement grossières et excessives, en plus de causer un tort difficilement réversible aux personnes transgenres et plus généralement à la communauté LGBTQ+.
Or, de nombreux spectateurs, aujourd’hui encore, ne se rendent pas compte que le film est problématique. Beaucoup invoquent l’humour ou le contexte de l’époque pour justifier l’ignominie de ces deux passages.
L’excuse du temps
On peut lire sur Twitter :
« Aujourd’hui, les gens sont offensés par Ace Ventura. Ça a été filmé il y a 25 ans. On ne parlait pas des trans à l’époque, donc c’est juste un film qui appartient à son temps. Allez vous faire voir bande de précieux. »
Certains spectateurs voudraient donc que le long-métrage soit remis dans le contexte des années 1990. Il est vrai que cette, soi-disant, comédie est sortie aux Etats-Unis il y a plus de 29 ans, et que les mœurs et l’ouverture d’esprit n’étaient pas les mêmes.
J’ai moi-même considéré que le SIDA – touchant particulièrement les hommes homosexuels et causant un pic de mortalité au début des années 1990 – pouvait avoir eu un impact sous-jacent lors de l’écriture du scénario, mais je n’ai trouvé aucune documentation ou commentaire allant dans ce sens.
Pire encore, les critiques de l’époque (oui, de l’époque) dénoncent justement l’homophobie du film :
« Ace répugne, de près ou de loin, tout ce qui est homosexuel. C’est une attitude qui conduit à la discrimination et au cautionnement de la violence physique à l’encontre des gays. Considérez le message que vous diffusez M. Carrey. Quelles qu’aient été vos intentions, nous les gays pouvons vous remercier, vous et Hollywood, pour un autre message de haine insidieusement enfoui dans un film que j’ai, par ailleurs, beaucoup aimé. Quel gâchis, quelle honte. » Joel Perry – Los Angeles Time
Si plusieurs critiques – notamment du Los Angeles Time et de Variety – pouvaient s’apercevoir, dès 1994, qu’Ace Ventura était dérangeant et hautement discriminant, l’excuse du temps a tout de suite moins d’impact. D’autant plus lorsque d’autres contenus comiques, comme la sitcom Seinfeld (diffusée dès fin 1980), abordaient l’homosexualité avec beaucoup plus de finesse et d’ouverture.
Il faut tout de même noter que les critiques décrivent seulement de l’homophobie et non de la transphobie. C’est parce que la notion de transgenre était souvent invisible dans les années 1990, comme en témoigne une utilisatrice Reddit :
« J’adorais les deux films Ace Ventura quand j’étais enfant. La fin transphobe m’est passée par-dessus la tête. Ce n’était pas drôle, mais je ne savais pas que les personnes trans existaient. Donc l’idée que ça puisse offenser qui que ce soit ne m’avait jamais traversé l’esprit. »
Aujourd’hui, le film est vu à la fois comme homophobe et transphobe. Homophobe, car, dans sa tête, Ace est dégouté à l’idée d’avoir embrassé un garçon. Et transphobe, car ce personnage devenu femme est tourné en dérision et humilié publiquement jusqu’à ne pas avoir le choix que de laisser transparaitre un sexe auquel il ne s’identifie pas.
La remise en contexte de cette œuvre dans son époque ne permet donc que partiellement d’expliquer ces scènes problématiques, mais ne les justifie en aucun cas. C’est là que Jim Carrey intervient pour nous sortir la carte de l’humour.
L’excuse de la blague
25 ans après la sortie d’Ace Ventura, Jim Carrey s’était enfin exprimé sur la transphobie et homophobie de son personnage :
« C’était une réaction franche [‘honest’ en version originale] et complètement homophobe de la part de ce personnage. Mais c’est justement pour se moquer de l’homophobie. Je me mets une ventouse sur le visage juste parce que j’ai embrassé un gars, c’est ridicule »

Loin d’un mea culpa, Jim Carrey préfère ne pas condamner l’un des films qui a propulsé sa carrière. Il souligne plutôt l’absurdité de la scène et tente de convaincre, qui veut bien l’être, que c’est la risibilité de la réaction du protagoniste qui fait de ce passage, non pas un passage homophobe, mais au contraire un passage contre les homophobes.
Une explication trop légère et surprenante pour un acteur qui a incarné un homosexuel à l’écran aux côtés d’Ewan McGregor dans I Love You Phillip Morris. En particulier, lorsque l’on sait que Jim Carrey s’est exprimé publiquement pour dénoncer les brutes homophobes qui s’attaquent aux personnes qui ne leur ressemblent pas.
Le problème, c’est que l’acteur, mondialement connu pour The Mask et The Truman Show, ne se rend pas compte que son personnage d’Ace Ventura s’est aussi attaqué aux personnes qui ne lui ressemblaient pas : dans la fiction, en humiliant une personne transgenre, mais également dans la réalité, car ce film a eu un impact négatif profond sur des milliers de personnes LGBTQ+.
Derrière ces scènes que Jim Carrey pense innocentes, car ridicules, se cachent de vraies personnes qui ont profondément souffert de la réaction malvenue d’un protagoniste de comédie populaire ; comédie qui a été vue par des millions de spectateurs à travers le monde.
Une communauté LGBTQ+ en souffrance
Voici une sélection de quelques témoignages trouvés sur Reddit :
« Ce film a été central dans mon maintien au placard. Le fait que le protagoniste réagisse avec tant de dégout face à une personne trans, et que cette personne soit attaquée et humiliée publiquement, et que tout le monde dans la pièce soit dégouté, cela a contribué à mes 3 décennies dans le placard. »
« Ce film m’a absolument gardé.e dans le placard pendant des années, et m’a fait m’auto-détester. »
« Probablement le premier film que j’ai vu qui abordait le sujet de la transidentité et qui nous décrivait comme des personnes dégoutantes. Je veux dire, avec littéralement des gens qui vomissent à l’idée qu’une femme trans les touche. Pire, le « ew » que mon père a fait avec eux. Ça m’a aussi mis dans la tête que les personnes trans étaient folles. Je ne comprenais pas pourquoi les personnages vomissaient au tout début, mais pour mon père c’était évident. Je n’ai jamais aimé la scène de révélation, mais quand j’étais enfant, je ne savais pas que j’étais trans. J’ai absorbé cette représentation et ça s’est imprégné dans mon cerveau. J’avais tellement peur que tout le monde pense que j’étais folle/fou quand j’ai réalisé que j’étais trans. A cause de cette scène, je ne me suis pas senti.e bien pendant très longtemps, et parfois, je me déteste encore pour ça. »
Quand on essaye de se mettre à la place de toutes ces personnes et que l’on comprend ne serait-ce qu’une infime partie de leur détresse, on comprend également que le contexte et l’aspect comique du film ne devraient pas servir à excuser ou justifier les dégâts causés. Contrairement à des millions de spectateurs, Ace Ventura ne m’a plu à aucun niveau, mais je sais que beaucoup trouve cette comédie très drôle. Ma question est : est-ce que le rire en valait la chandelle ? Ma réponse rapide : non.
Bien sûr, je fustige Ace Ventura pour sa représentation régressive des personnes transgenres, mais ce film ne peut être l’unique responsable du maintien au placard de la communauté LGBTQ+. Les témoignages citent d’ailleurs d’autres films/séries et même les médias en général.

Transphobie mainstream et cancel culture
Dans le livre ‘Representing queer and transgender identity’ (2017), la chercheuse Alexandra Gonzenbach Perkins explique que jusqu’en 2004 la représentation positive de personnes trans était très limitée, car elles étaient presque toujours représentées comme « mentalement instables » (p. 47). Elle cite notamment Ace Ventura et The Crying Game (1992) qui dépeignent les femmes trans comme des « méchantes meurtrières » (p. 47).
Dans l’ouvrage, Reclaiming Genders (1999), Gordene O. Mackenzie indique, dès 1999, que ces films cités précédemment (avec Stargate) illustrent parfaitement la transphobie implicite de nombreux divertissements américains de l’époque. Il écrit que, malheureusement, les passages problématiques d’Ace Ventura ont fait rire de nombreux spectateurs à travers les Etats-Unis (p. 209) et sous-entend ainsi que le côté « mémorable » (p. 208) de ces scènes a grandement participé à véhiculer une idéologie homophobe et transphobe.
C’est parce que le film avec Jim Carrey a été un succès populaire que sa représentation des personnes transgenre a eu un impact néfaste sur plusieurs générations LGBTQ+. Il a fallu de nombreux nouveaux films et séries pour que la donne commence à changer et que les mentalités évoluent lentement.
Après 29 années à défaire une vision négative implantée dans la société par ce type de divertissements, nous sommes arrivés à une tolérance relative : du chemin reste encore à parcourir pour changer en profondeur notre façon de concevoir les genres et sexualités, mais il y a tout de même de quoi se réjouir.
Or, cette évolution n’efface pas les 29 années de perdues pour les personnes ayant souffert directement ou indirectement des répercussions des scènes transphobes/homophobes d’Ace Ventura.
Ce film semble pourtant avoir échappé à la cancel culture… Pour l’instant en tout cas, puisqu’il serait grand temps d’ouvrir les yeux sur cette comédie qui ne peut plus se cacher derrière le temps ou l’humour pour justifier son contenu offensant. Comme d’autres longs-métrages avant lui, Ace Ventura devrait aussi avoir le droit à son avertissement de début de film : « L’œuvre que vous allez voir comporte une représentation transphobe choquante et problématique, pouvant se révéler blessante et nuisible. » Vous voilà prévenus.