"L'analyse critique du discours" est un outil méthodologique dont on se sert dans la recherche académique, mais qu'on utilise sans s'en rendre compte quand on regarde un film ou une série. Si, si ! Tu vas voir.
D'où ça sort ?
Mais qu’est-ce donc que ce terme bien ronflant ? La CDA est un terme inventé par les Anglo-américains et qui signifie ‘Critical Discourse Analysis’. C’est la méthodologie qu’utilisent les chercheurs (et les élèves) en sciences sociales. C’est donc une façon (parmi d’autres) d’analyser du contenu en lien avec différentes disciplines : l’histoire, l’anthropologie, l’économie, les sciences politiques, mais surtout les cultural et media studies.
C’est l’étude de ces dernières qui nous intéressent pour cet article. Pourquoi reprendre les termes anglophones ‘cultural et media studies’ ? Parce que nos voisins outre-Manche et outre-Atlantique sont bien en avance sur l’étude de la culture et des médias. En France, les diplômes qui s’y consacrent sont rares et si ton sujet de mémoire ou de thèse porte sur l’analyse de tel(s) film(s) ou telle(s) série(s), tu fais partie des marginaux. En Angleterre ou Etats-Unis, les cultural et media studies sont prises très au sérieux, et dans ces disciplines à part entière, la CDA est incontournable.
L'analyse du discours
Découpons le terme : “l’analyse critique du discours” est une extension de “l’analyse du discours”’. Mais qu’est-ce qu’un discours ? Non, on ne parle pas ici de tous les mensonges déblatérés par un politicien en campagne. On traite ici d’un terme utilisé en sciences sociales et développé par le philosophe Michel Foucault. Dans ce contexte, un discours est vu comme l’ensemble des outils visuels et parlés qui vont donner du sens à un contenu.

Analyser un discours dans le cas d’une série ou d’un film correspond donc à analyser le scénario, la mise en scène, la cinématographie, la bande-son, la démarche des personnages… etc. Tous ces biais visuels ou parlés sont porteurs d’un message qui donne du sens à ce que nous sommes en train de voir.
Par exemple, choisir de mettre en scène un père célibataire ne véhiculera pas le même discours que mettre en scène une mère célibataire.
Autre exemple, de façon caricaturale, si le parent célibataire est souvent montré en contre-plongée pour signifier qu’il est dépassé par les évènements, mais que dans la scène finale, le réalisateur décide d’utiliser la plongée, il peut chercher à montrer que son personnage a réussi à surmonter les obstacles de la vie. À l’inverse, si la plongée est utilisée pendant tout le film, et que la contre-plongée nous est proposée pour le plan final, le message n’est plus le même, car le discours employé n’est plus le même.
L'analyse critique du discours
Quelle est donc la différence entre “analyse” et « analyse critique » ? En jargon académique, l’ajout du mot “critique” est juste une façon de prendre du recul par rapport au contenu qui nous est présenté. C’est-à-dire qu’il ne s’agit plus seulement d’analyser le texte (contenu en tant que tel qu’il soit visuel ou parlé), mais également de s’intéresser au para-texte (l’intention des scénaristes et la réception), mais aussi aux réalités sociales (contexte) dans lequel le texte et para-texte s’inscrivent.
En image, prenons l’exemple du film Buzz l’Éclair (aussi voir l’article à ce sujet).

L’analyse critique du discours permet d’analyser le film, et en particulier le baiser lesbien dans un contexte plus global.
Une analyse simple serait donc la suivante : l’homosexualité est montrée de manière positive, ce qui a déplu à un certain nombre de personnes, car (a) nous vivons encore dans un système très hétéronormé et conservateur et (b) qu’il existe des divergences sociétales et culturelles d’une personne à une autre. Néanmoins, beaucoup ont eu une réaction très positive et le simple fait que Disney commence à rendre visible l’homosexualité atteste d’une évolution nette à l’échelle de la société (qui n’aurait pas été possible quelques années auparavant). Buzz s’inscrit donc dans un contexte global d’évolution lente et difficile des droits pour la communauté LGBTQ+.
A quoi ça sert ?
Un discours n’est donc jamais neutre puisque (1) il se construit par rapport à la société dans laquelle nous vivons (2) construit la société dans laquelle nous vivons.
Dans le cas de Buzz : (1) mettre en scène un couple lesbien n’aurait jamais été possible 10 ans plus tôt ou encore aujourd’hui en Chine par exemple ; (2) un tel choix permet de normaliser l’homosexualité et de mettre fin au diktat de l’hétéronormativité.
L’analyse critique du discours permet donc d’analyser les rapports de pouvoir et de domination au sein de notre société, car la réitération d’un discours permet soit de réaffirmer ou de challenger le statu quo.
Pour continuer avec des exemples de films Disney, des dessins animés comme Blanche-Neige ou La Belle au bois dormant ont trop longtemps véhiculé un discours patriarcal qui a façonné l’esprit des petits garçons et des petites filles. En conséquence, ce type de discours qui s’inscrivait dans une société patriarcale a permis de maintenir une domination masculine. Un vrai cercle vicieux ! Mais parce que des féministes se battent pour une meilleure égalité femmes-hommes, notre monde évolue et avec lui les films de princesses. La Reine des Neiges montre que les inégalités femmes-hommes s’estompent tout doucement, en plus de contribuer à l’effort de guerre à travers un discours plus féministe qui façonne les nouvelles générations.

L’analyse critique du discours permet ainsi de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons (ou vivions) et de remarquer les changements ou sursauts de changements qui s’opèrent dans notre société.
Et tu n’as pas besoin d’être universitaire pour t’en servir, tu le fais très régulièrement et pour n’importe quel.le série ou film ! Bon, ok, on a certainement plus tendance à en avoir conscience quand on parle de Westworld que de Shotgun ou Freaky Friday. Mais crois-moi, tu peux le faire avec absolument n’importe quelle fiction !
D'autres exemples
Va lire l’article de Do sur La Fine fleur par exemple, elle fait de la CDA sans s’en rendre compte : La Fine fleur propose pour elle une vision idéalisée de l’insertion et du monde du travail ; vision qui n’est pas très réaliste dans un monde en crise et capitaliste comme le nôtre.
Tu peux aussi lire l’article Avatar d’Allan : Avatar c’est un spectacle grandiose dont la réception permet de questionner le monde pinailleur et râleur dans lequel nous vivons, mais également d’interroger l’avenir du cinéma.
Ou encore lire, l’un des miens, Kaleidoscope : une série à regarder dans le désordre qui témoigne de la volonté pour Netflix de se démarquer et d’attirer le spectateur dans un contexte terrible de concurrence des plateformes de streaming ; concurrence indissociable de notre système capitaliste.
Et si, toi aussi, tu es sériephiles ou cinéphiles, tu dois sans aucun doute avoir plein d’autres exemples à nous partager, tirés de ton analyse critique du discours ! J’ai hâte de lire tout ça en commentaire.