Titre original : Gone with the Wind
Producteur : David O. Selznick
Réalisateurs : George Cukor, Victor Flemming (aidé par Sam Wood)
Scénariste : notamment Sidney Howard
Actrices et acteurs principaux : Vivien Leigh, Clark Gable, Leslie Howard, Olivia de Havilland et Hattie McDaniel
Un plat british que je ne comprends pas : Les haricots anglais sur un toast.
Date de sortie : 17 janvier 1940
Où le voir : sur SALTO, et à l’achat ou à la location.
Synopsis officiel : Georgie, 1861. Scarlett O’Hara est une jeune femme de la haute société sudiste courtisée par les bons partis du pays. Mais elle n’a d’yeux que pour Ashley et ce malgré ses fiançailles avec sa cousine. Scarlett est décidée à le faire changer d’avis…
Dans un univers parallèle, Scarlet O’Hara n’a rien d’un personnage de fiction et Autant en emporte le vent tient du biopic.
A la fin des années 1920, la journaliste Margaret Mitchell se lance dans la rédaction d’une biographie centrée sur la jeune entrepreneuse. A sa publication en 1936, l’ouvrage devient très rapidement un best-seller et un producteur ambitieux, David O. Selznick, décide d’acheter les droits pour adapter le livre en long-métrage.
Mais quel regard porte la principale intéressée sur Autant en emporte le vent et l’actrice qui l’interprète à l’écran ? On le lui a demandé.

Bien qu’imaginée, cette interview repose sur les faits réels et a pour but de te faire découvrir les coulisses d’un film encore culte aujourd’hui.
C’est depuis son Tara natal, et par écrans interposés (covid oblige), que Scarlett O’Hara est revenue, avec nous, sur le tournage du film, sa relation particulière avec Vivien Leigh, mais également sur les controverses modernes et son engagement féministe.
Qu’avez-vous pensé de la façon dont vous étiez représentée dans le livre et le biopic ?
En voilà une question difficile. Je dirais que l’image qui ressort de moi est assez authentique; bien qu’un peu romancée parfois et, peut-être, simplifiée dans le biopic. Néanmoins, je rejoins Margaret Mitchell, lorsqu’elle souligne qu’Autant en emporte le vent est un grand film, avec un casting absolument parfait, et je salue l’engagement et la détermination de toutes les personnes ayant participées au projet.
Qu’avez-vous pensé du choix de Vivien Leigh pour vous interpréter ?
72 ans plus tard, je ne vois toujours personne d’autre pour m’interpréter à l’écran. Vous savez, pendant que David Selznick [ndlr. le producteur du film] cherchait l’actrice qui allait m’incarner, un sondage avait été mené pour demander aux lecteurs qui ils imaginaient pour m’interpréter. Une seule personne recommandait Vivien. Beaucoup voulaient que cela soit Bette Davis, Katharine Hepburn ou encore Miriam Hopkins, mais l’histoire en a voulu autrement [rire].
Pourquoi Vivien Leigh était-elle la candidate parfaite ?
En dépit de son accent britannique – sur lequel on a dû travailler – Vivien me correspondait parfaitement. Et je ne parle pas simplement de la ressemblance physique mais bien de ma personnalité. C’est Olivia de Havilland [ndlr. l’actrice interprétant Mélanie] qui la décrivait comme un être exquis, avec beaucoup de belles manières. Mais c’était aussi une chipie, un brin espiègle. C’était une personne absolument intéressante, complexe et travailleuse, qui refusait d’être réduite à son physique.
Vous vous considériez donc proche de l’actrice ?
Oui. Je pense qu’on a su créer, lors de nos multiples discussions sur le tournage, un lien indéfectible et presque inexplicable. Je crois qu’elle s’identifiait beaucoup à moi tout comme je peux désormais m’identifier à elle.
C’est pour cela que vous pensez qu’aucune autre actrice n’était assez bien pour vous incarner à l’écran ?
J’imagine oui, même si la prestation de Paulette Goddard était aussi un régal pour les yeux. Mais l’actrice n’avait pas une vertu irréprochable, car elle contait fleurette à Charlie Chaplin, mais n’avait pas l’intention de se marier. Peut-être avait-elle peur de trouver, comme moi, le mariage décevant [rire]. Vous comprenez, Selznick voulait que les spectateurs puissent identifier l’actrice à mon vécu et voulait une sainte nitouche. Il ne voulait pas que leur histoire d’amour nuise à l’image du film.
Pourtant Vivien Leigh ne correspondait pas non plus à cet idéal.
Vous parlez de sa relation adultère avec Laurence Olivier ? Oui, c’est vrai, les deux avaient chacun contracté un mariage de leur côté, avant de tomber amoureux. Selznick a tout fait pour cacher cela et éviter que les rapporteurs de ragots ne l’apprennent. Pour la cause du film, ils ont été éloignés pendant le tournage.

On raconte que l’éloignement a été difficile pour elle.
La pauvre Vivien était venue aux Etats-Unis, fin 1938, en espérant pouvoir m’incarner à l’écran mais aussi pour retrouver Laurence Olivier. Lorsque le tournage a commencé en janvier 1939, elle a renoncé à le voir souvent et était lasse de l’éloignement. En plus, sur le tournage, tout ne marchait pas à souhait.
Vous parlez des changements de réalisateurs ?
Sapristi, oui. Mais aussi de la folie de Selznick : le producteur voulait tout faire par lui-même et il tapait sur les nerfs de tout le monde. Vous vous rendez compte, tous les jours il réécrivait le script et tout le monde devait réapprendre son texte pour le jour même.
Pourtant, Vivien Leigh ne remercie ouvertement que lui aux Oscars de 1940.
Parce que le film n’aurait pas été le même sans lui. C’était la seule personne assez folle pour adapter une biographie si dense en biopic. Il y a investi toute son énergie, il trimait comme un mercenaire. Il était le garant du film, mais à cause des changements incessants dans le script, les costumes, les décors, toute l’équipe était à bout de force. Je me souviens qu’il laissait des mémos partout, avec ce qu’il attendait de chacun.
D’ailleurs, vous savez que la scène d’ouverture – où Brent et Stuart m’ennuient avec la guerre – a été une des premières scènes tournées, mais ce n’est pas la version que l’on voit dans le film, car la scène a été refaite 5 fois pendant les différents mois de tournage. Selznick trouvait toujours quelque chose d’imparfait : les cheveux, la tenue, la luminosité, etc. Vivien a même été rappelée après la fin du tournage pour la refaire.

Beaucoup disent que le film n’aurait jamais vu le jour sans Victor Flemming, le second réalisateur engagé ?
Taratata, voilà des mots que vous ne m’entendrez jamais dire. Il y a tellement d’autres personnes qui ne sont pas restées là à faire les yeux ronds, et qui ont évité la ruine du film. Mais, j’admets que, Flemming a remis de l’ordre dans tout ce bazar et que sans lui le film n’aurait pas été le même.
Qu’entendez-vous par là ?
Vous voyez la scène à la gare, où Vivien Leigh marche parmi les blessés et les cadavres, pour trouver le docteur ? Flemming a eu l’audace d’utiliser une grue de chantier pour donner à la scène plus d’ampleur, mais également d’utiliser tous les figurants à disposition et même des mannequins ! A chaque fois que je regarde la scène, je me revois au milieu de tous ces soldats. Il a été très malin et le rendu est incroyable.
Pourquoi pensez-vous que Vivien Leigh ne l’a pas remercié dans son discours aux Oscars ?
Était-ce bien utile ? Dans un moment pareil, il est impossible de remercier tout le monde, voilà tout. Et sur ce film, c’était sans doute Selznick l’homme providentiel. C’est pour cela qu’elle n’a pris le temps que de le remercier. Et puis, je sais que je vais dire une chose horrible, mais Flemming n’était pas un gentleman. Il avait une attitude ignoblement basse avec Vivien, et la poussait dans ses retranchements pour faire ressortir son côté pimbêche à l’écran.
Elle ne voulait pas de Flemming, elle voulait George Cukor, le premier réalisateur. Car des deux, Cukor était bien le plus adorable. Il n’y avait personne d’aussi gentil que Cukor pour Vivien, qui – après son départ – éprouvait beaucoup de chagrin mais devait continuer à jouer la comédie. D’ailleurs, Vivien m’a dit avoir perdu tout espoir de prendre du plaisir sur le tournage après son départ. Mais les deux se voyaient encore, et Vivien demandait beaucoup de conseils à son ami, notamment sur la façon de m’interpréter.
Donc vous pensez que l’interprétation que Vivien Leigh fait de vous est un mélange entre l’influence de Cukor et de Flemming ?
Oui, si elle aurait bien aimé envoyer au diable Flemming, en qui elle n’avait jamais vu un tel manque de tact, elle a su utiliser son agacement pour faire ressortir le meilleur dans sa prestation. De même pour l’éloignement avec Laurence Olivier : si ça ne la laissait pas indifférente, elle a trouvé le moyen que le soleil luise encore sur le tournage, et a fondé son jeu sur son expérience du moment.
Peut-être un peu aussi sur votre biographie ?
Dieu merci, oui [rire]. Avant même de prétendre à m’interpréter, elle s’était beaucoup préparée et avait lu ma biographie de nombreuses fois. Elle connaissait toutes les nuances de mon caractère. Dès 1938, elle était farouchement déterminée à décrocher le rôle mais aussi à donner le meilleur d’elle-même. Donc, même si tout avait été à l’encontre de ce qu’elle espérait sur le tournage, elle ne s’est pas laissée abattre.
D’ailleurs, j’en ai discuté avec Rhett et Ashley, et ils crevaient de jalousie, car Clark Gable et Leslie Howard n’avaient pas travaillé autant pour les incarner à l’écran; et étaient loin d’être aussi enthousiastes. Clark Gable l’avait surtout fait pour pouvoir divorcer de sa femme. Tandis qu’Howard était là par dépit; il n’avait même pas lu le livre ou le script en entier et se contentait simplement d’apprendre ses lignes, sans se soucier des lignes des autres. Mais ils avaient tort, terriblement tort, de ne pas croire en Autant en emporte le vent.
Et Bon Dieu de bois, leurs salaires étaient bien plus élevés que celui de Vivien. [ndlr. Vivien Leigh a touché 30 000$, Clark Gable 117 000$ et Leslie Howard : 76 000$] Je déteste ce genre de plaisanteries. Vivien travaillait 16h par jour et apparaissait quasiment dans toutes les scènes. Elle rêvait d’évasion. Elle a beaucoup lutté et était ivre de fatigue tous les soirs. Certaines nuits, elle inondait même son oreiller de ses larmes. Elle a été présente 122 jours sur les 125 jours de tournage au total, tandis que Clark Gable n’a été présent que 73 jours. Elle a été prodigieuse et je suis ravie qu’elle ait eu un Oscar en m’interprétant à l’écran.

Pensez-vous d’ailleurs que l’on puisse décrire votre biographie comme une œuvre féministe ?
Bonté divine, je suis désolée, mais ne crois pas qu’Autant en emporte le vent soit une œuvre féministe. Par contre, c’est idiot de réduire mon histoire à une simple histoire d’amour. C’est plutôt l’histoire de ma survie et de mon évolution, dans le seul but d’être heureuse jusqu’à la fin de me jours.
Et vous n’estimez pas être une figure féministe ?
Détrompez-vous, je sais que je joue avec les codes de genre et les normes. Je me moque de ce que les gens pensent de moi. Mais encore aujourd’hui, certaines personnes me détestent pour cela. J’ai juré devant Dieu qu’une fois le cauchemar de la guerre terminé, ni moi-même ni les miens ne connaîtrions plus jamais la faim, et je suis vue comme quelqu’un d’odieux, de vénal et d’égoïste. Donc, j’avoue, que je ne comprends pas.
Et si je n’étais pas une femme du monde, je leur en dirais à ces vermines. Je ne me suis pas complu dans ma misère, j’ai fait ce qui me chantait tout en aidant Mélanie et d’autres à survivre, et j’ai le droit parce qu’il était – et est toujours – trop cruel de renoncer au bonheur à mon jeune âge. Mais les vieilles biques me méprisent, parce que je suis inconventionnelle et que j’espère ne plus avoir d’enfant. Je me trouve plutôt courageuse et indépendante, mais je ne pense pas qu’on aurait fait ces reproches à un homme.
D’ailleurs, j’ai entendu dire que des imbéciles racontent que Rhett a eu bien du courage de s’enticher d’une bonne femme comme moi… Pourtant, Rhett est loin d’être irréprochable et dans la biographie, Margaret Mitchell ne cesse de rappeler que ma position en tant que femme était inférieure à la sienne. Ce qui dérange, c’est que je ne sois pas une godiche insipide et que j’essaie de sortir du carcan imposé par la société, en revêtant des traits jugés masculins. Apparemment, même encore aujourd’hui, on peut être un businessman mais pas une businesswoman. C’est insensé.

Qu’avez-vous à répondre aux personnes qui vous qualifient de raciste ?
J’avoue que ça se brouille dans ma tête, parce que je n’ai pas encore réfléchi à ça… Je suis désolée, mais je pense qu’il faut me resituer dans mon époque : j’ai grandi dans le sud esclavagiste des Etats-Unis, c’était il y a si longtemps. Cette notion de racisme n’existait pas et avoir des esclaves n’était pas quelque chose d’étonnant.
J’entends bien, mais ce qu’on reproche à votre biographie et à votre biopic aujourd’hui, c’est une vision très lisse des personnes noires par rapport aux personnes blanches bien plus complexes, mais aussi une vision idéalisée du sud de l’avant-guerre de Sécession et de la ségrégation raciale.
Qu’attendez-vous de moi ? La seule chose que je peux dire, c’est que je crois encore qu’il faut recontextualiser à la fois mon vécu, mais aussi le vécu de Margaret Mitchell : elle a grandi à Atlanta et a été bercée avec des histoires sur la guerre. Elle était peut-être ensorcelée par ce passé, à tel point qu’elle a écrit une histoire nostalgique de ce qu’avait pu être un temps le sud des Etats-Unis. Et, en plus, elle l’a fait à travers mes yeux et, comme je vous l’ai dit, cette notion de racisme n’existait pas lorsque j’ai grandi.
Vous approuvez donc qu’HBO ait retiré le film de sa plateforme, avant de le réintégrer, avec une contextualisation de l’œuvre, notamment en évoquant des pratiques racistes d’Hollywood ?
Bien sûr. La seule chose qui me fait peur, c’est qu’on oublie les choses positives apportées par Autant en emporte le vent. Par exemple, Butterfly McQueen [ndlr. alias Prissy], bien que jouant une servante godiche, a refusé de se faire gifler pour de vrai par Vivien Leigh. Sans oublier que, grâce à ce film, Hattie McDaniel est la première personne noire nommée, mais, également, à avoir remporté un Oscar.
Pardon, mais cela ne l’a pas empêchée – là encore – d’être victime de racisme, puisqu’elle a été invitée par politesse à la cérémonie des Oscars, mais n’a pas pu être attablée avec le reste du casting, car la cérémonie n’était pas autorisée pour les personnes noires.
Je ne n’ai pas oublié tout cela, mais je ne veux pas y penser maintenant, car il est trop tard. Tout ça, c’est le passé. Que voulez-vous que je fasse au juste ?
Elle n’a pas, non plus, été invitée à la première du biopic, qui a eu lieu à Atlanta.
Pour la première à Atlanta, Clark Gable n’a pas été lâche et a insisté pour qu’elle puisse y participer, mais c’était déjà trop demander pour l’époque et les organisateurs n’ont pas changé d’avis.
En parlant de la première d’Atlanta, dans son discours, Vivien Leigh souligne qu’être présente dans cette ville, c’était comme rentrer à la maison alors qu’elle n’y avait jamais mis les pieds. Pensez-vous qu’elle était fière d’enfin marcher sur vos pas ?
J’avoue n’y avoir jamais songé, mais, je crois, qu’après des mois à avoir interprété une jeune fille du sud, elle se rendait enfin là où j’avais vécu. Elle a beaucoup donné pour m’interpréter et, à un moment, on pensait que le film ne verrait jamais le jour. Et, oui, je pense qu’elle était fière, qu’elle voulait me rendre fière et qu’elle voulait aussi rendre fiers les habitants d’Atlanta; donc ce n’était pas une phrase en l’air dans son discours.
Selon la légende, David O. Selznick serait tout de suite tombé sous le charme de Vivien Leigh, lorsque son frère lui a présenté l’actrice comme la Scarlett O’Hara tant attendue.
Ce n’est pas totalement vrai, parce que si on rembobine un peu, Selznick avait déjà vu Vivien à l’œuvre dans L’Invincible Armada, mais il n’avait pas été particulièrement charmé.

Donc, on oublie la légende ?
Non parce qu’elle est en partie vraie [rire]. Lorsque Vivien est arrivée aux Etats-Unis en 1938, elle a été invitée à la toute première scène tournée, celle du feu d’Atlanta. On me voit déjà sur les plans éloignés, mais ce n’était pas encore Vivien qui m’interprétait, mais une doublure. C’est pendant l’incendie que Vivien a été présentée comme la parfaite moi, et qu’elle a passé des auditions qui ont séduit, le soir même, le producteur. Donc, après un détour de plusieurs mois, plein d’argent investi dans le casting et des dizaines de milliers de candidates, Vivien arrivait quelques semaines avant le début du tournage; alors que Selznick pensait qu’il ne trouverait personne. « Je vous souhaite un joyeux Noël » aurait pu dire Selznick à Vivien, en lui annonçant la merveilleuse nouvelle le 25 décembre 1938. Mais c’est finalement elle qui avait aussi un cadeau pour nous.
Elle a démontré que je comptais pour elle et j’ai l’impression qu’elle me regardait comme si elle avait déjà été moi. Elle jouait divinement bien et, depuis 1939, j’ai bien l’impression que tout le monde pense à elle quand on évoque mon nom.
C’est d’ailleurs drôle d’entendre ce nom « Scarlett O’Hara ». Saviez-vous que ce n’était pas mon vrai nom ? Je suis née Pansy O’Hara, mais les éditeurs ont trouvé que ce n’était pas un nom assez vendeur pour que le lecteur puisse s’identifier à moi. Et puis à force d’entendre les gens m’appeler Scarlett, je m’y suis habituée et j’en ai fait mon nom de scène [rire] »
Que peut-on vous souhaiter mademoiselle Scarlett pour la suite ?
Et bien, je continue de m’occuper de Tara et je compte bien trouver le moyen de ramener Rhett, parce qu’après tout demain est un autre jour !