Créateur : Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé (conseiller historique : Jean-Pierre Azéma)
Produit par : France 3
Acteurs principaux : Robin Renucci, Audrey Fleurot, Richard Sammel, Maxim Driesen, Fabrizio Rongione…
Saison préférée : l’hiver
Années de diffusion : 2009-2017
Où le voir : SALTO, DVD/Blu-Ray, VOD
Synopsis officiel : En juin 40, Villeneuve, petite ville du centre de la France, est bouleversée par l’arrivée de l’armée allemande. L’Occupation vient de commencer et va durer cinq ans. Hortense, Jean, Raymond, Marie étaient des Françaises et des Français ordinaires, maris, femmes, notables ou paysans… ils deviendront patriotes, traîtres, collaborateurs ou résistants. Après s’être effondrée, la France se reconstruit jour après jour, mais à l’heure allemande. Avec cette période incertaine et dangereuse de notre histoire s’ouvre une ère nouvelle : aux règles imposées par l’occupant répondent celles de la désobéissance civile ou de la clandestinité. On y a peur, on y a faim, on s’y déchire au nom des valeurs et d’une certaine idée de la France… ou parfois simplement par amour.

Préambule
Les éditions Crossovor vous proposent de comprendre le parcours de Daniel Larcher, un Français ordinaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Désigné maire sous le régime de Vichy, il raconte son histoire dans un journal qu’il semble avoir tenu du 10 juin 1940 jusqu’à sa mort en 1975. Avec le concours de ses petits enfants et l’analyse de l’historien, Henri Rousseau, spécialiste de la mémoire du Régime de Vichy, nous avons tenté de redéfinir le rôle de Daniel Larcher pendant l’Occupation et à travers lui le comportement de millions de Français.
Dans ces quelques pages d’un journal incomplet*, vous découvrirez l’histoire d’un homme condamné à l’indignité nationale pour avoir collaboré avec les Allemands, mais dont les actions lui ont attiré, à plusieurs reprises, la reconnaissance des résistants et de ses concitoyens. Tantôt décrit comme un homme bon et tantôt comme un collabo, qui était réellement Daniel Larcher ? Et qu’aurions-nous fait à sa place ? Voici les questions ambitieuses qu’essaye de poser cet ouvrage.
*Daniel Larcher semble avoir cessé d’écrire entre le 13 novembre 1945 et le 3 mars 1975. De plus, certaines pages entre 1940 et 1945 ont été arrachées ou sont illisibles.
Daniel Larcher en quelques lignes
Daniel Larcher est né à Villeneuve, le 10 juillet 1895. Médecin de formation, puis adjoint au maire avant l’Occupation, il est désigné maire en 1940 avant de renoncer à ses fonctions au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Pendant la guerre, il entretient une relation compliquée avec sa femme Hortense et finit par tomber amoureux d’une jeune juive apatride, Sarah Meyer; avec qui il vivra en concubinage jusqu’à sa déportation. Père adoptif de Tequiero, Daniel Larcher s’est aussi beaucoup occupé de son neveu Gustave alors que son frère, Marcel, œuvrait pour la résistance. Il meurt le 21 mars 1975, quelques jours après le suicide de sa femme.

Le Journal
10 juin 1940 :
Les Allemands percent à Besançon et à Lyon. J’ai bien peur que ce ne soit la fin.
12 juin 1940 :
Les Allemands ont débarqué pendant que je faisais un accouchement. La femme a fait une hémorragie de la délivrance. Je l’ai laissée avec des soldats mais j’ai dû garder le bébé. Je ne sais pas quoi en faire. Sa mère est espagnole, elle l’’a appelé Tequiero. On part en direction de Genève, tous les trois, avec Hortense.
24 juin 1940 :
Nous sommes de retour à Villeneuve. Un homme a été fusillé devant nos yeux, sur la place. Quelle horreur cette guerre. Le commandant m’a désigné otage et m’a ordonné de remettre de l’ordre dans l’Eglise où se sont entassés des civils. L’inspecteur Marchetti m’a aidé à ramasser les armes qui trainaient, et Marie Germain et la petite Lucienne m’ont aidé à maîtriser une épidémie de dysenterie. Mais on manque de tout. J’ai même cru qu’on allait perdre Tequiero, mais c’est sa mère que j’ai retrouvée morte.
16 septembre 1940 :
J’ai été nommé officiellement maire. Je vais tenter de débloquer les colis pour nos prisonniers en Allemagne.
30 septembre 1940 :
Les Allemands sont à la recherche d’un saboteur de câbles téléphoniques depuis ce matin. Le couvre-feu a été avancé à 18h et j’ai été chargé de constituer une liste d’hommes pour une surveillance nocturne. J’ai préféré ne pas mettre Marcel, mais j’ai mis mon nom. Le commandant von Ritter avait l’air surpris.

31 septembre 1940 :
Les policiers tiennent leur coupable, c’est Mareck. Cependant, il ne s’agissait pas d’un sabotage, mais d’un vol pour le marché noir. Grâce à son arrestation, le couvre-feu repasse à 20 heures.
Ce qui m’ennuie c’est que les Allemands ne respectent pas la convention du traité d’armistice. Certes, Mareck est un étranger, mais il a été arrêté par la police française donc il devrait être jugé par la justice française. Or, selon le sous-préfet Servier, on gagne plus à contenter les Allemands parce qu’il faut que l’économie reparte. Après tout, on a perdu la guerre, il faut bien essayer de gagner la paix.
15 octobre 1940 :
J’ai cru que le père de Tequiero était venu sonner à ma porte pour le récupérer. En ce moment, Hortense et Tequiero sont mes seules joies. Madame Morhange a été révoquée seulement parce qu’elle était juive, alors que c’est une femme respectable… Je ne sais pas si j’ai raison de continuer en tant que maire. Hortense pense que c’est mieux pour Villeneuve parce que je suis généreux, humain, que je pense au bien des autres. Le bien des autres… est-ce qu’on y pense moi à mon bien ?
7 novembre 1940 :
Dans un cinéma, des mômes ont sifflé Hitler au moment où le maréchal lui serrait la main. C’est vrai que s’entendre avec Hitler c’est une chose, mais lui serrer la main c’en est une autre. Mais bon, tout de même, siffler le maréchal alors que c’est tout ce qu’il nous reste… Je suppose qu’il sait ce qu’il fait. Cela doit être une ruse, il doit essayer de gagner du temps pour nous sortir de là.
9 janvier 1941 :
J’ai passé la journée avec le représentant des mal-logés. Ils sont dans une situation intenable, j’ai promis de leur donner le surplus de tickets de rationnement.
10 janvier 1941 :
J’ai pu m’arranger avec Servier pour faire sortir Marcel de prison. La seule condition est qu’il s’engage à renoncer à toute activité politique. Il a refusé, évidemment. Qu’est-ce qu’il peut être têtu. En attendant, Gustave parle beaucoup de son papa.
4 février 1941 :
Je me sens impuissant : toute la journée je passe mon temps au travail avec des gens sans maison, sans travail, sans argent, et je ne peux rien y faire. En plus, je sens que je perds Hortense. Elle m’a juré sur notre amour qu’il n’y avait rien entre elle et Marchetti, mais j’ai décidé de la faire suivre par un détective.
12 février 1941 :
Le détective a confirmé qu’Hortense me trompait avec Marchetti. J’ai appelé quelques contacts et l’ai fait muter à Dijon.
10 mars 1941 :
La situation n’est guère meilleure qu’il y a quelques semaines. Hortense ne me pardonne pas la façon dont j’ai utilisé mon pouvoir pour faire partir Marchetti et les Villeneuvois n’ont toujours rien dans leurs assiettes. Des femmes ont manifesté parce qu’elles voulaient du beurre et du lait. Dès cette nuit je vais créer un nouveau plan de ravitaillement.
11 mars 1941 :
J’ai présenté mon plan à Servier : je souhaite indexer les tickets sur le revenu pour organiser la solidarité comme le veut le maréchal. Servier trouve mon plan formidable, mais m’a très bien fait comprendre qu’il n’aurait pas l’autorisation pour le mettre en place. Si seulement le maréchal était au courant, je suis sûr que les choses seraient différentes. En attendant, je me contente d’aider comme je peux. Aujourd’hui, j’ai donné des tickets à Mme Estabet, pour son fils dénutri.
20 octobre 1941 :
Une cinquantaine d’habitants de Villeneuve ont été arrêtés parce qu’un officier s’est fait tuer, ce matin, à Nantes. Cela fait des mois qu’on essaye de faire passer la collaboration auprès des habitants et voilà qu’ils prennent des otages pour un attentat qui s’est passé très loin d’ici. J’ai tenté de protester, mais le commandant ne veut rien savoir.
23 octobre 1941 :
Hortense vient de m’avouer qu’elle me trompait à nouveau. Cette fois-ci ce n’est plus avec Jean Marchetti, mais avec Heinrich Müller. A l’écouter elle a essayé de revenir vers moi : ce n’est jamais elle qui fait, c’est toujours moi qui défais. Elle me reproche de prendre tout à cœur, de porter le poids du monde sur mes épaules, mais c’est elle qui m’a poussé à accepter la mairie !
24 octobre 1941 :
Hortense est partie vivre avec Müller et une arme allemande a été volée. Le commandant Kollwitz parle de représailles.
25 octobre 1941 :
Madame Estabet est venue me voir en consultation. Elle a été torturée par le SD parce qu’elle a aidé Marcel a volé l’arme. Oui, c’est Marcel qui a volé l’arme… J’ai été le prévenir, bien sûr. Il a fait mine de ne pas savoir de quoi je parlais. Je me demande pourquoi ce sont les gens auxquels je tiens le plus qui me mentent le plus. J’ai essayé de lui faire entendre raison, de ne pas aller au bout de la folie qu’il s’apprête à faire. S’il tue un officier allemand, les otages vont se faire fusiller ; ce sont pourtant des camarades à lui. Je ne comprends pas à quoi ça sert : tuer un seul Boche pour provoquer la mort d’une dizaine de Français.

26 octobre 1941 :
J’ai tenté de me constituer seul otage à la place de mes concitoyens (en tant que premier citoyen de la commune de Villeneuve). Je ne suis pas sûr qu’ils oseraient fusiller un maire. De toute façon, les Allemands ont refusé ma demande. Et sans surprise, Marcel et un de ses camarades ont commis l’attentat qu’ils prévoyaient. S’ils ne se livrent pas dans les 24h, 20 otages seront fusillés. Parmi eux, madame Estabet. Jusqu’à maintenant ils ne tuaient que des hommes, mais je me souviens avoir entendu qu’en Pologne ils avaient fini par tuer tout le monde.
Et comme si la journée n’avait pas été assez éprouvante, Hortense m’a annoncé qu’elle m’aimait encore, qu’elle avait besoin que je sois présente à ses côtés.
27 octobre 1941 :
J’ai essayé de faire comprendre à Kollwitz que la collaboration en pâtirait si les exécutions avaient lieu et lui ai dit que sa clémence serait appréciée par les concitoyens. Tout ce que Servier a obtenu c’est d’en sauver 10, à condition que nous fassions nous même la liste des 10 condamnés.
Servier a l’impression de sauver 10 personnes, et c’est vrai, mais Sarah m’a dit que je n’aurais jamais dû accepter de l’aider à faire cette liste. J’essaie de faire ce qui me semble juste, mais je crois qu’on ne nous pardonnera jamais ce que nous avons fait aujourd’hui.
31 octobre 1941 :
Hier soir, Marcel est passé à la maison rendre visite à Gustave avant de s’enfuir loin. Mais les Allemands l’attendaient dehors parce qu’Hortense avait fait passer le mot à Müller. Il est complètement fou ce type, il m’a tabassé pour que je lui dise où était mon frère et s’en est même pris à Hortense. Kollwitz nous a sauvé, mais comme cadeau d’adieu, Müller a levé la protection de Sarah en tant qu’apatride. Tout ce que Servier a pu faire, pour ne pas qu’elle soit arrêtée par les Allemands, c’est de la faire arrêter par la police française…
1er novembre 1941 :
J’ai essayé de faire sortir Sarah, mais je n’ai rien pu faire. J’ai seulement pu la voir avant son départ, et ses mots résonnent encore en moi. Elle m’a dit que c’est parce qu’il y avait des gens honnêtes, comme moi, que le régime ne tombe pas. Je me demande de plus en plus pourquoi je sers un gouvernement qui prend des décisions injustes.

21 juillet 1942 :
A l’école, les Juifs n’ont rien à manger. J’ai demandé à ce qu’on organise un achat de vivre, via le secours national, avec un allègement des impôts locaux étalés sur trois ans, mais le nouveau président de la chambre de commerce de la région s’y est opposé. Alors, j’ai fait du porte-à-porte moi-même, pour récupérer ce que j’ai pu, c’est-à-dire quasiment rien. Je pense à ce qu’aurait pu me dire Marcel : l’important c’est d’essayer.
22 juillet 1942 :
Aujourd’hui un homme m’a proposé de l’argent pour faire sortir sa fille de l’école. J’ai dû refuser, non pas parce que je ne voulais pas l’aider, mais pour une question d’équité.
Mais la situation sanitaire est préoccupante à l’école et Kollwitz me réclame toujours 28 Juifs… Et comme si tout cela n’était pas assez dur, la Gestapo exige qu’on sépare les parents des enfants pour le transport (qui se fait toujours attendre). Je trouve ça indigne, et je ne voulais pas le faire. Servier m’a dit qu’on n’avait pas le choix : c’est soit on sépare les parents et les enfants nous-mêmes, soit la Gestapo s’en charge.
On est censés aller jusqu’où pour contenter les Allemands ? Sarah a raison, je suis comme eux, parfois j’ai même l’impression d’être pire que le régime que je sers. C’est pourquoi j’ai dit à Servier que je lui présenterai ma démission.
25 septembre 1943 :
Monsieur Cohn a débarqué chez nous. Il a été blessé après avoir tiré sur Chassagne. Sarah insiste pour qu’on trouve un arrangement. J’ai promis qu’il pourrait rester se cacher avec nous un temps.
1er novembre 1943 :
J’ai passé plusieurs jours avec les maquisards qui m’ont contraint à soigner un soldat allemand blessé. Ils ont fini par me libérer. Quand je suis rentrée à la maison, Sarah et les petits avaient disparu et la milice m’attendait. Ils m’ont jeté au trou avec Marcel et torturé. J’ai cru que j’allais parler. Je savais où était le maquis. J’ai même demandé à Marcel de m’aider à mourir, mais il a refusé. C’est Müller qui m’a fait libérer en me déclarant informateur de la police allemande, mais Gustave ne comprend pas pourquoi moi j’ai pu sortir et pas son père…

13 novembre 1943 :
Marcel a été fusillé. Un choc et c’est fini. Je voulais l’enterrer dans le caveau de famille, mais son amie Suzanne a insisté pour qu’on le mette au grand air, dans une forêt. C’est paisible, tu seras bien ici mon frère. Repose en paix Marcel.
25 août 1944 :
Paris a été libéré. J’ai été prévenir Hortense qu’il fallait qu’elle prenne ses dispositions parce que l’armée américaine ne plaisante pas avec les Françaises qui ont couché avec les Boches. Je veux la faire passer en Suisse avec Gustave.
Servier m’a demandé de jouer les intermédiaires avec les résistants pour la libération de 12 prisonniers qu’il menace de livrer aux Allemands, et comme d’habitude, je n’ai pas refusé.
27 août 1944 :
Hier j’ai eu une discussion avec Gustave. Il m’en veut toujours par rapport à son père. C’est dingue, on dirait qu’il m’en veut plus à moi qu’à sa tante qui couche avec Müller. Je lui ai dit que j’avais fait ce que j’avais pu, c’est-à-dire pas grand-chose. Tout ce que je pouvais faire c’était mourir avec Marcel. Mais ce n’est pas un crime de vouloir vivre ? Il a tellement grandi et ne m’écoute plus. Il a failli se faire tuer en pleine rue parce qu’il faisait du marché noir en plein couvre-feu. Je l’ai sauvé in extremis en suppliant les Allemands et en tentant de soigner un de leurs soldats.
28 août 1944 :
Le préfet suppléant Beriot est venu me demander d’être l’avocat des miliciens à la cour martiale. Il a appelé à mon sens de l’humanisme et de l’intérêt général. Je ne veux plus défendre personne ou attaquer personne, mais on vient m’emmerder parce que dans une période de crise j’ai voulu limiter les dégâts ! Il veut que je l’aide à rétablir l’état de droit et, en échange, il jouera en la faveur d’Hortense qui vient d’être arrêtée par les Américains. Je l’ai prévenu que s’il ne tient pas parole, je suis prêt à hurler dans tout Villeneuve que sa femme héberge un soldat allemand.
Mais ce procès ressemble à une farce, ils veulent juste condamner tout le monde à mort. J’ai préféré plaider en faveur de l’individualisation des peines, où on juge un homme pour ce qu’il a réellement fait, lui, individu, avec son histoire, son passé, ses circonstances. Ça n’a pas beaucoup plu, mais on ne peut pas juger de la même manière le chef de la milice et une nouvelle recrue qui n’a pas de sang sur les mains.
29 août 1944 :
Beriot m’avait parlé d’un procès juste qui viserait à montrer l’indépendance du pouvoir judiciaire de la nouvelle France, mais leur sentence est déjà rendue. C’est madame Schwartz qui m’a appris que 14 cercueils étaient déjà commandés pour les 14 miliciens jugés. Pour Beriot, tout ce qui compte c’est de donner une impression de justice au peuple. Je m’y suis opposé et j’ai pu sauver quelques jeunes hommes de l’exécution.
De façon surprenante, après le procès, Beriot m’a proposé de participer au redressement de Villeneuve. Apparemment ce que j’ai fait depuis 40 ce n’était pas si mal.
30 août 1944 :
Le comité d’épuration a donné son aval pour que je devienne administrateur civil de Villeneuve. Pendant un bref instant, j’avais retrouvé le goût de l’action collective. J’avais même pu trouver un plan d’action pour la santé, l’hébergement et la nourriture, mais le président du CDL a révélé au conseil que j’avais été informateur de la police allemande. Beriot m’a immédiatement démis de mes fonctions, avant de m’assigner à résidence. J’ai essayé, en vain, de leur expliquer que c’était un stratagème de l’amant de ma femme pour me faire sortir de prison. Collabo, c’était déjà dur à porter, mais indic’ des Boches, c’est finalement comme ça qu’on va se souvenir de moi…
31 août 1944 :
On a essayé de s’enfuir avec Hortense, mais, en chemin, on s’est fait tabasser par des habitants et Hortense a été rasée devant tout le monde. C’est ignoble, même Gustave a participé à tout cela.
7 novembre 1945 :
Hortense ne va pas fort et moi non plus. Notre procès avec Servier commence aujourd’hui et on risque la peine capitale. Il m’a dit que j’étais son ami, mais je ne suis pas sûr que ce soit le mien. Le procureur m’a reproché d’avoir envoyé à la mort des dizaines de Juifs en 1942. Ils imaginent tous que je savais qu’ils allaient mourir, mais je ne le savais pas.
9 novembre 1945 :
Müller est venu témoigner pour confirmer que je n’avais jamais été un informateur de la police allemande. Il a même ajouté que la France avait la mémoire courte, parce que le président du procès l’était déjà sous Vichy. Notre avocat pense que je pourrais m’en sortir avec l’indignité nationale et conserverait mon droit d’exercer.
Les choses se sont compliquées cet après-midi, après le témoignage d’Amélie Grosjean. Elle est venue dire que Servier avait fait la liste des otages fusillés en octobre 1941. Servier a reconnu l’avoir faite et m’a laissé hors de l’histoire. Il a tenté de se défendre en expliquant avoir sauvé 10 personnes ce jour-là, mais le procureur ne veut rien entendre et l’accuse de complicité de meurtres.

10 novembre 1945 :
Servier ne veut pas que je dise que j’ai participé à établir la liste. Malgré mes protestations, je lui ai promis de me taire.
11 novembre 1945 :
Une lettre anonyme a révélé que j’avais fait la liste avec Servier. Au procès, rien ne m’y obligeait mais j’ai finalement décidé d’avouer. J’ai expliqué avoir retiré un nom de la liste, ce qui obligeait Servier à en rajouter un.
J’ai essayé de me défendre, en expliquant, à mon tour, que ce jour-là nous avons sans doute sauvé 10 personnes. Je savais que ce n’était pas bien, mais on nous a laissés faire tellement de choses qui n’étaient pas bien pendant la guerre… Les déportations de Juifs, les exécutions, la torture qui ont eu lieu pendant que j’étais maire… Longtemps, j’ai pensé que je n’y étais pour rien, que ça se passait malgré moi, contre moi. Mais avec le recul et ce procès, je vois les choses autrement : j’ai voulu éviter le mal et en réalité je l’ai accompagné.
Je ne suis pas un monstre, j’ai simplement pris plaisir à m’occuper des autres; à un moment donné où ce n’était pas possible de le faire bien. Oui, j’ai collaboré, parce que le maréchal, désigné par le parlement, nous le demandait, et parce que j’ai cru, à l’époque, que j’étais quelqu’un qui pouvait aider les autres.
De par ma fonction j’ai laissé faire des injustices, mais l’armistice était la seule solution au début de la guerre (en tout cas pour les Français restés en France). Le procureur me parle de De Gaulle, mais en 1940-41, il était loin et personne ne savait qui il était. En 1940, ce que les gens voulaient c’était de la nourriture, des soins, de la dignité.
On m’a demandé d’être là, j’ai été là. Je me rends compte aujourd’hui que je me suis trompé sur moi-même et ça m’a fait du bien d’avouer tout cela, d’être sincère au procès.
13 novembre 1945 :
Le verdict a été rendu aujourd’hui. Servier a été condamné à la peine capitale. Il ne mérite pas cela. De mon côté, j’ai été condamné à l’indignité nationale, mais je conserve mon droit d’exercer la médecine compte tenu de la pénurie de docteurs.
Pendant sa plaidoirie, le procureur m’a qualifié de calculateur froid, d’antisémite, de traitre et même de pervers. Mon avocat, lui, a souligné ma générosité, ma sincérité, mon courage… Il a dit que j’avais permis d’adoucir le sort des Villeneuvois. Malheureusement, je pense qu’on se souviendra de Daniel-le-collabo et pas du Daniel-qui-a-fait-ce-qu’il-a-pu. Servier pense que les gens oublieront, parce que les gens oublient tout. En attendant, c’est nous qui allons essayer d’oublier avec Hortense, om va partir loin de cette ville.

***
3 mars 1975 :
Tequiero est passé me rendre visite, il m’a parlé de la déportation des Juifs. Un patient lui a dit que j’étais impliqué, responsable de ce qui était arrivé. Tequiero croit qu’en tant que maire de Villeneuve je pouvais empêcher ça. J’ai vu la déception dans ses yeux. Il m’en veut de ne pas avoir été sincère. Il a raison, mon passage en prison, mon frère résistant, ça oui je lui en ai parlé, mais jamais vraiment du reste.
4 mars 1975 :
J’ai été rendre visite à Hortense, je lui ai dit que je voulais raconter tout à Tequiero, sur son enfance et l’occupation. Je voudrais l’emmener à Villeneuve.
13 mars 1975 :
J’ai montré à Tequiero le pont où je l’ai séparé de sa mère mourante. Comparé à 1940, c’était calme aujourd’hui, parce qu’en 1940 le ciel grondait à cause des bombardements partout aux alentours. Mais il ne se rappelle de rien, même pas de Sarah. Pourtant, 30 ans ce n’était pas si vieux, même s’il était jeune.
J’ai revu Gustave aussi. J’étais si content de le voir. Ça fait 15 ans qu’on ne s’est pas vus. Il a dit à Tequiero que, pendant la guerre, j’avais fait ce que j’avais pu et que c’était facile de juger des années après, mais que ce n’était pas la même chose de l’avoir vécu. Ça m’a touché ce qu’il a dit.
L’horreur, à l’époque on ne la savait pas, ou plutôt on ne voulait pas la voir. Je me souviens quand les Juifs étaient à l’école, on se doutait bien que ça allait être dur dans ces camps, mais on ne pensait pas à Auschwitz et ne voulait pas y penser. On avait assez d’horreur à gérer au quotidien.
Avant l’exposition d’Hortense, des jeunes gens nous ont traités de fachos, d’antisémites, de collabos… Ils ne savent pas de quoi ils parlent. Mais quelle idée, Hortense a eu là de vouloir à tout prix accrocher un tableau de Müller…
14 mars 1975 :
J’ai perdu Hortense, elle s’est suicidée. C’est curieux quand j’y pense, parce que j’ai toujours été persuadé que je partirais le premier. C’était mon amour, c’était ma douleur. Je devrais être soulagé qu’elle ne soit plus là, mais elle va tellement me manquer.
Daniel Larcher, par Henri Rousseau
Le sous-préfet Servier avait presque raison en disant que les gens oublient tout. Pendant presque trois décennies, un récit national se met en place et la France tombe dans une mémoire collective biaisée.
De la Libération jusqu’au début des années 1970, un mythe s’organise autour de De Gaulle et de la Résistance. C’est la notion de ‘résistancialisme’ qui devient prépondérante. C’est-à-dire qu’on promeut une certaine idée de la France qui vise à marginaliser Vichy et à exagérer la résistance en l’attribuant au pays tout entier. De Gaulle le dit lui-même en 1944 : “La République n’a jamais cessé d’être. La France libre, la France combattante, le Comité français de libération nationale l’ont tour à tour incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le président du gouvernement de la République.”
A lui seul, l’homme du 18 juin 1940 représente la France qui s’est toujours battue. En conséquence, les mémoires gaulliste et résistante finissent par s’entremêler, contribuant à une forme d’ignorance et de tentative d’oubli; et en tout cas de refoulement. Dans les années 1950, l’économie repart et le semblant d’unité nationale trouve un équilibre, malgré un deuil inachevé, des rancoeurs et des interrogations toujours latentes.
Mais l’équilibre est fragile, car l’interprétation gaullienne a fini par déposséder, notamment, les résistants et les Juifs de leur histoire. Avec mai 68 et la mort de De Gaulle, des questions ressurgissent et s’opère un tournant dans la vision de l’Occupation. Les jeunes générations, qui n’ont pas – ou peu connu – la guerre veulent savoir et remettent en cause la grande histoire officielle proposée dans les manuels scolaires.
C’est ce qui explique que Tequiero pose, après toutes ces années, des questions à son père. D’ailleurs, Daniel Larcher reconnaît avoir uniquement évoqué, avec son fils, son vécu lié à la résistance, sans jamais s’attarder sur le reste.
Les années 1970-1980 voient s’effondrer une image rassurante, selon laquelle tout collabo avait choisi, en toute conscience, le fascisme et le nazisme. On comprend finalement que la frontière entre “bons” et “mauvais” Français n’était pas si clairement définie et que le choix d’un camp ou de l’autre n’allait pas forcément de soi.
Cependant, cette nouvelle lecture de l’occupation n’a pas empêché la jeune génération de juger sévèrement ses aïeux. Cela s’explique dans les années 1970-1980 par la résurgence de la mémoire juive au niveau international. Trop longtemps refoulée, cette mémoire devient finalement une obsession, poussant davantage les Français à associer collaboration et antisémitisme.
Ce sont ses résurgences que subissent Daniel Larcher et sa femme avant l’exposition. Et ce sont, sans doute, ces mêmes résurgences qui poussent Tequiero à questionner les agissements/non-agissements de son père. L’incompréhension est d’ailleurs palpable entre ceux ayant pleinement vécu la guerre et les plus jeunes. Lorsque l’ancien maire de Villeneuve écrit dans son journal que les personnes qui le traitent de fasciste en 1975 ne savent pas de quoi ils parlent, il fait directement référence au fait que personne n’est en mesure de comprendre l’Occupation sans l’avoir vécue.
De fait, si on peut être surpris de voir l’animosité de Gustave s’effacer envers son oncle à leurs retrouvailles en 1975, les recherches historiques montrent que cela n’a rien d’anormal. D’ailleurs, certains sondages mettent en évidence des cycles d’hostilité qui varient avec l’âge. Par exemple, dans les années 1970-1980, il semblerait que ceux ayant subi l’Occupation tendaient à être plus indulgents envers le maréchal Pétain, à l’inverse des jeunes générations qui le condamnaient durement.
Gustave fait alors partie, comme beaucoup d’autres, des personnes ayant un regard changé sur la situation, et ici sur le cas Daniel Larcher. A la lecture de son journal, on comprend aisément que le maire de Villeneuve ne collaborait pas par plaisir, mais pensait servir un appareil d’Etat légitime, dirigé par le héros de Verdun. Avec son histoire singulière, parsemée de doutes, d’espérances, d’épreuves, de peines, d’aveuglements, de remords, de regrets et de choix difficiles, Daniel Larcher constitue un exemple, parmi tant d’autres, du vécu de Français ordinaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Son parcours nous offre un rappel important : le bien et le mal sont des notions abstraites, d’autant plus dans une période troublée, pendant laquelle seulement une minorité ont très activement collaboré ou résisté.
Note d’intention : Le présent article a pour but de mettre en exergue l’évolution de la mémoire collective liée au régime de Vichy, par le biais de l’excellente série Un Village français, qui a su retranscrire, avec une certaine fidélité, le quotidien de millions de Français. Si Daniel Larcher reste un personnage de fiction, son arc narratif permet brillamment d’illustrer les théories d’Henry Rousso (et non Henri Rousseau) développées notamment dans son ouvrage Le Syndrome de Vichy (paru pour la première fois en 1987).
Pour aller plus loin, voici plusieurs lectures qui ont permis l’écriture de cet article :
- Le syndrome de Vichy : de 1944 à nos jours, d’Henri Rousso
- Servir l’État français : l’administration en France de 1940 à 1944, de Marc-Olivier Baruch
- La France à l’heure allemande : 1940-1944, de Philippe Burrin
Pour mieux comprendre comment les Français ont pu s’accommoder de l’horreur et de l’Occupation, nous recommandons également la lecture de Matin Brun, de Franck Pavloff. Cette oeuvre est une nouvelle qui révèle comment les régimes totalitaires s’insinuent dans le quotidien des Hommes et finissent par rendre acceptable ce qui ne l’était pas.
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