Une larme, deux larmes, trois larmes… Un torrent de larmes… Parfois la mort – même fictionnelle – c’est triste et c’est tout à fait normal. Aujourd’hui, je vais parler des deuils.

Ces dernières années j’ai dû vivre un nombre incalculable de deuils… Et toi aussi ! Non je ne parle pas de ta grande tante de 95 ans qui a eu une belle vie, mais a malheureusement quitté ce monde. Je parle bien évidemment des personnages de séries qui nous sont arrachés sans crier gare.

Seuls les vrais fans peuvent comprendre cette difficulté – presque ridicule – d’avoir à faire le deuil d’un personnage fictif.

De vieux amis

Pourtant, si on y réfléchit, il n’y a rien de vraiment surprenant à tout cela, puisque l’on finit par créer une sortie de connexion amicale avec les personnages de nos séries préférées. Ils sont en fait de « vieux amis » [1], que l’on retrouve de saison en saison, d’épisode en épisode, bravant à leurs côtés les aléas de la vie sur plusieurs années.

La psychologue Dill-Shackleford, qui étudie la construction sociale de la réalité à travers la pop-culture, les compare même à des avatars qui nous offrent la possibilité de ressentir des émotions à travers eux; émotions que nous nous interdisons parfois de ressentir. [2]

Pour la psychothérapeute Cécile Ahrens, il y a quelque chose de curatif, presque salvateur, à travers cette projection de nous-mêmes et de nos émotions sur nos personnages préférés [3] ; et ce même si nous ne pouvons nous identifier pleinement à ce qu’ils traversent.

Non, tu n’es pas comme Villanelle dans Killing Eve – parce que tu ne tues pas les gens pour le plaisir (enfin j’espère) – mais cela ne t’empêche pas d’être en empathie avec et d’éprouver une certaine familiarité affectueuse envers elle.

Deuils en série - Episode 1
Les futurs chirurgiens en pleine dissection d'une souris au lycée - ©BBC

Une connexion bien réelle

Pour la psychologue Dill-Shackleford [4] c’est justement ce lien – presque intime – avec les personnages qui fait que nous nous investissons pleinement dans l’histoire qui nous est proposée. Car si les personnages que nous affectionnons sont bien fictifs, le lien que nous créons avec eux est ancré dans notre réalité.

C’est ce que souligne Howard Sklar [5], doctorant en Philosophie, Arts et Société :

‘Comme le savent tous ceux qui ont regardé un film ou lu un roman captivants, nous nous investissons profondément dans l’expérience de vie des personnages… Nous avons tendance à réagir comme s’ils étaient de vrais individus.’

C’est ce qu’on appelle, dans un jargon académique, des relations « parasociales ». Il peut également se produire la même chose avec les célébrités.

Il s’agit alors d’une relation à sens unique qui n’enlève pas moins la connexion que l’on peut ressentir avec la célébrité ou le personnage en question. Au contraire, cette relation est basée sur l’idéalisation de l’autre. Puisqu’il s’agit d’une image que nous projetons de lui/elle. Il n’y a aucun moment, donc, où cette personne n’ira pas dans notre sens (contrairement à notre entourage) et nous décevra. En résulte un sentiment d’être mieux compris.e par ce personnage – pourtant fictif – mais à travers lequel nous trouvons une sorte de refuge émotionnel.

Et alors que tu n’es pas Villanelle de Killing Eve – je le rappelle parce que tu ne tues pas les gens pour le plaisir – que se passe-t-il dans ton cerveau, dans nos cerveaux ?

Deuils en série - Episode 1
"Qu'est-ce que je vais manger ce soir ? Pizza ? Raclette ?" - ©BBC

Le principe d’identification

Une récente étude publiée dans le journal scientifique Social Cognitive and Affective Neuroscience a montré que lorsque les fans de la série Game of Thrones parlaient de leurs personnages préférés, la partie du cerveau qui s’activait était celle qui les concernait eux-mêmes.

En d’autres termes, la partie du cerveau qui s’activait était celle qui permet le processus d’identification et donc qui permet l’empathie envers un personnage.

La psychiatre Leela R. Magavi l’explique ainsi :

‘L’identification fait référence au processus consistant à s’imaginer temporairement transposé dans les sentiments et les expériences d’un personnage spécifique. Cela permet aux individus de percevoir le monde différemment, d’acquérir et d’accéder à des capacités émotionnelles disparates qu’ils étaient auparavant incapables d’expérimenter. […] Cela peut leur permettre de modifier ou de recadrer leur pensée ou de modifier leur comportement et leur réaction aux facteurs de stress de la vie.’ [6]

L’étude sur les fans de Game of Thrones montre d’ailleurs que plus l’on s’auto-identifie à un personnage et plus il est difficile de dissocier la réalité de la fiction.

Cecille Ahrens émet l’hypothèse suivante : 

‘L’identification crée peut-être cet alignement neuronal qui rend difficile pour notre cerveau de discerner la réalité de la fantaisie. Les lignes deviennent floues et nous nous « perdons » littéralement dans le personnage et son histoire.’ [7]

Pour la psychiatre Leela R. Magavi, ce procédé serait pour nous l’occasion de mettre un masque et de nous transcender inconsciemment :

‘Lors de l’étude Game of Thrones, les individus ont exprimé l’idée que cette identification aux personnages leur avait permis d’accéder à un plus grand niveau de confiance en soi et d’auto-compassion. […] Par exemple, un jeune homme s’était identifié à Samwell Tarly, car il se sentait également mis à l’écart par la société et sa famille. […] Lorsque Samwell Tarly a trouvé sa vocation et a aidé ses amis, il a été tellement touché qu’il a trouvé le courage de postuler pour un emploi, malgré son anxiété sociale.’ [8]

Deuils en série - Episode 1
Quand ton père devient tactile - ©BBC

Leela R. Magavi résume ainsi :

 

‘Apprendre des personnages, et s’identifier à eux, rend moins effrayant pour les individus de s’interroger sur eux-mêmes. Cela peut faire diminuer les sentiments de honte ou de culpabilité. Certains individus discutent même des personnages avec des amis ou des membres de la famille, ce qui simplifie leur capacité à discuter de leur propre parcours avec les autres.’ [9]

Plus que des amis, les personnages de fiction deviennent ainsi des modèles qui nous guideraient inconsciemment dans notre réalité.

Dans de telles circonstances, il est parfaitement normal de trouver difficile de leur dire au revoir.

Des deuils disproportionnés ? 

Cela explique parfois pourquoi l’on traîne des pieds à terminer une série… Ou pire encore, pourquoi nous avons l’impression de subir un deuil, de plein fouet, lorsque les scénaristes décident d’ôter la vie aux personnages auxquels nous nous étions identifiés et attachés.

Or, à la fin d’une série, reste encore cette idée que nos personnages profitent de leur « et ils vécurent heureux pour toujours ». La sensation de les perdre est donc beaucoup moins présente parce que d’une certaine façon, ils existent toujours dans notre imagination.

A l’inverse, lorsqu’un personnage meurt, il cesse d’exister à tout niveau, d’où le besoin de faire le deuil de notre connexion avec ce personnage.

Si certains trouvent ça ridicule et disproportionné de devoir faire le deuil d’une personne fictive, cet article démontre bien qu’il existe parfois un lien bien réel et que la perte d’un être aimé (fictif ou non) reste une perte qu’il faut gérer.

En résumé : sortons tous nos mouchoirs ! Et n’ayons pas peur de pleurer la mort de nos préférés !

Si tu patientes un peu, Axel, Allan et moi, on va te faire le récit de nos deuils les plus difficiles dans un autre article. En attendant, tu peux partager ton expérience en commentaire.

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