Réalisateur : Kornél Mundruczó
Scénariste : Kata Wéber
Actrices et acteurs principaux : Vanessa Kirby, Shia LaBeouf, Ellen Burstyn
Ma nouvelle voiture : la Ignis Suzuki
Date de sortie : 7 janvier 2021
Où le voir : Netflix
Synopsis officiel : Martha et Sean Carson s’apprêtent à devenir parents. Mais la vie du couple est bouleversée lorsque la jeune femme accouche chez elle et perd son bébé, malgré l’assistance d’une sage-femme.  Martha doit alors apprendre à faire son deuil, tout en subissant une mère intrusive et un mari de plus en plus irritable.

Pieces of a woman imagine et illustre une tragédie dont certains ne se remettent jamais. Le film choisit en effet d’explorer le deuil de son enfant. Autant te le dire de suite, cher lecteur, cet article n’est pas extrêmement gai. Et pourtant, je choisis librement d’en parler tant le scénario et la vision du réalisateur sont parvenus à me toucher autrement que par un « simple » et inexorable chagrin maternel.

Pieces of a woman attire inévitablement le regard et l’esprit lorsqu’il s’ouvre sur un long plan séquence d’environ 30 minutes. C’est alors tout le travail en amont de la naissance qui émeut. La future mère est la véritable pièce maîtresse de ce plan unique qui nous dévoile un être en agitation constante. Martha, en effet, alterne les pas de mambo et de valse à trois temps, se dandine douloureusement de la salle à manger à la salle de bains, et se raccroche au regard ahuri de tendresse du futur père. C’est un accouchement tout ce qu’il y a de plus normal. On choisit simplement de nous impliquer de manière crue et vraie dans les premiers moments de vie d’un enfant. Attendrissant mais fatal. Car l’enfant, que l’on vient de voir déposé dans les bras de sa mère, ne survit pas.

S’ouvre alors le second acte.

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Oui je suis en deuil et je porte du rouge - ©Netflix

Martha retourne au bureau après avoir accouché et tenu seulement quelques secondes sa petite fille dans ses bras. La scène où elle pénètre l’espace de travail, les yeux braqués de tous sur elle, traversant nonchalamment les open work, interroge. Car au-delà de son retour au bureau, c’est l’attitude de Martha elle-même qui pourrait sembler singulière. Je dis bien « semble », car c’est finalement la façon dont on pense le deuil de son enfant qui est ici revue et adaptée selon un autre regard. 

Au fil du film, Martha peut sembler détachée ou froide. N’est-elle donc pas remplie de chagrin ? N’est-elle pas au bord du gouffre, comme son conjoint ? Ce dernier s’enfonce, allant jusqu’à la tromper et se droguer. Il choisit de fuir et partir pour s’éloigner de ce qui lui apparaîtra pour toujours comme insoutenable là où sa conjointe reste et cherche ses réponses. Est-elle un monstre parce qu’elle décide de léguer le corps de son bébé à la science, s’attirant la tristesse et la foudre de sa mère ? 

Après la naissance avortée de son enfant, Martha erre au-travers de la ville. Au hasard de ses déambulations, elle réinvente son parcours, mais aussi celui de son bébé. Lorsqu’elle s’arrête par exemple dans une boutique et achète un livre traitant de botanique pour immédiatement mettre en pratique chez elle ce qu’elle y découvre, on comprend. Martha vit une double tragédie : elle n’a pas pu profiter de sa fille à sa naissance et, tout et tous autour d’elle, cherchent absolument lui imposer leurs idées et façons de faire un deuil. Y a-t-il une seule façon de faire son deuil ? Faut-il nous parer de noir, pleurer en abondance et se laisser prendre dans les bras de gens inconnus ? Non. Martha, à ce moment du film, préfère se tourner vers l’herboristerie et la germination. En réalité selon moi, elle a besoin de se réapproprier la notion de conception. Comment en partant d’une toute petite graine, en la couvrant d’eau et de coton et surtout en prenant soin d’elle, on peut obtenir un fabuleux et complet écosystème. Martha est sa propre Mère nature, la mère bienveillante qui prend soin de sa progéniture, qui se dit à elle-même qu’elle peut le faire et qu’elle l’a bien vécu.

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Je t'ai pourtant dit de jouer la mère éplorée et dévastée ! Arrête de sourire ! - ©Netflix

Pieces of woman est avant tout un film qui montre que nous ne ressentons pas tous le deuil de la même façon. Et que si nous ne montrons pas forcément ce qui est généralement admis et même attendu par notre entourage, cela ne veut pas dire que l’on ne ressent pas. Selon moi, le réalisateur ose extérioriser le parcours de quelqu’un qui a besoin de se reconstruire après la perte d’un enfant. Plus encore, le lien n’ayant existé que quelques secondes, il apparaît nécessaire pour la mère de construire une réelle relation avec cet enfant qui n’existe pourtant déjà plus.

La scène où Martha redécouvre et revit la naissance de sa fille au-travers des photos est parlante. Le moment est intime, il lui permet de « prendre possession » de son rôle. Elle devient une mère lorsqu’elle rencontre son enfant pour la seconde fois et le célèbre dans l’intimité alors même que tout le monde le pleure et souhaite l’enterrer pour mieux oublier. À ce moment, il est clair que ce sont bien les représentations et émotions du personnage principal qui l’emportent sur les considérations d’ordre concret et extérieur. Elle est mère sans avoir de « réel » enfant, mais c’est ainsi qu’elle construit cette relation et la vit pleinement.

Martha enfin, assume entièrement le deuil sans se décharger sur la sage-femme qui l’a accompagnée lors de l’accouchement. Elle semble alors se détacher encore davantage, se libérer définitivement d’entraves symboliques, sociales ou conventionnelles. Pieces of a woman donne la parole à une mère qui n’a plus d’enfant, mais choisit librement de faire vivre celui-ci par son regard neuf sur le monde qui l’entoure et en célébrant celui qui n’est plus au lieu de le pleurer et de se taire.

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Et donc j'ai quand même le droit de penser à moi après avoir perdu cet enfant ? - ©Netflix

Pieces of a woman est une sorte de parcours initiatique, fatidique mais aussi salvateur et révélateur de notre nature profonde bien que surprenante. C’est un film fort, empreint d’une humanité rare que je n’ai pas souvent vu à l’écran, surtout si on considère le thème dont il est question. On célèbre ici la Vie quand on n’a pas pu la garder près de soi et on refuse finalement la Mort, celle que tous, autour de nous, veulent nous imposer.

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