Créatrice : Shonda Rhimes
Produit par : ABC
Actrices et acteurs principaux : Ellen Pompeo, Chandra Wilson, James Pickens Jr….
La dernière chose que j’ai mangé : du sorbet au melon
Où la voir : Disney +
Synopsis officiel : Meredith Grey, fille d’un chirurgien très réputé, commence son internat de première année en médecine chirurgicale dans un hôpital de Seattle. La jeune femme s’efforce de maintenir de bonnes relations avec ses camarades internes, mais dans ce métier difficile la compétition fait rage…

Être une bonne mère, même sans enfant, c'est paradoxal, mais c'est ce que montre Grey's Anatomy en abordant en détail la question de l'avortement.

Plus politique que jamais, la saison 19 de Grey’s Anatomy vient de s’achever aux Etats-Unis pour le plus grand soulagement des anti-avortements. Mais ces derniers peuvent continuer de trembler, car la série de Shonda Rhimes fera bien son retour en septembre pour poursuivre la défense du droits des femmes, même après le départ de Meredith Grey.

Depuis 2022, nos voisins américains sont entrés dans une ère pré-The Handmaid’s Tale avec une politique anti-avortement qui s’est drastiquement durcie dans le pays. Alors que depuis 1973, le droit à l’avortement était protégé nationalement par le IVème amendement, les choses ont changé l’année dernière et chaque Etat peut choisir de limiter ou d’interdire toute forme d’interruption de grossesse, même en cas de viol (y compris inceste) ou en cas de risques de santé pour la mère.

Face à ce retour en arrière incompréhensible, Grey’s Anatomy monte au créneau de façon bien plus insistante que d’habitude. Il faut dire qu’il y a urgence. Attention spoilers.

Une représentation indispensable

Le show, porté jusqu’ici par Ellen Pompeo, a été accusé par les anti-avortements de n’être que propagande en cataloguant les manifestants ‘pro-vies’ comme des personnes violentes.

En effet, dans la fiction, le Grey Sloan est au premier plan de ces violences, car l’hôpital propose notamment des formations aux procédures d’avortement pour les médecins résidants dans un Etat où l’IVG est devenue illégale ou limitée. Le personnel de l’hôpital, y compris Bailey et Addison, ne cesse donc de se faire agresser et menacer soit verbalement soit physiquement.

Être une bonne mère, même sans enfant – Vol. III – Grey's Anatomy sur le pied de guerre
"Maman, comment on fait les bébés ?" - ©ABC

Dans le vrai, Grey’s Anatomy ne fait que retranscrire l’existante augmentation des violences du côté des pro-vies, et ce même avant l’abrogation de l’avortement. Au-delà des statistiques, l’agressivité et le déchainement sont également visibles à travers le désir, en Caroline du Sud, d’instaurer la peine de mort pour toute personne ayant recours à l’IVG.

Shonda Rhimes n’avait d’autre choix que de sortir l’artillerie lourde pour tenter de faire réévoluer les mentalités des spectateurs et protéger les femmes américaines, comme l’analyse le chercheur Steph Herold :

« Quand la question de l’avortement n’est abordée que par un personnage secondaire non-récurent, et que toute l’intrigue qui tourne autour de l’avortement de ce personnage ne dure que 10 minutes et n’est ensuite plus jamais mentionnée, cela n’a pas un grand impact sur l’attitude des spectateurs et sur leur soutien ou non à l’avortement. »

Une saison 19 sur le pied de guerre

Certains.aines diront que Grey’s Anatomy a sorti les gros sabots pour la saison qui vient de se terminer : le service gynéco a tronqué ses tenues roses bonbon pour du noir, Addison se fait renverser par un chauffard pro-vie, Bailey et sa famille se font harceler et menacer, et cette dernière reçoit même un Catherine Fox Award pour son combat.

« Pour la toute première fois, cette récompense va être attribuée pour un projet non-chirurgical et à quelqu’un qui n’est même pas nommé. Nous sommes au milieu d’une crise de santé publique nationale. A l’instant où je vous parle, et dans plus de la moitié de nos Etats, des femmes sont contraintes, non seulement de porter à terme des grossesses non désirées, mais aussi des grossesses à risque. Il leur est légalement interdit de recevoir des soins qui protègent leurs droits de reproduction et leur survie. Avec ces interdictions, des médecins ne sont plus formés à ces procédures ; à ces procédures qui sauvent des vies et qui sont utilisées dans d’autres cas que pour des avortements. Mais il y a un médecin qui essaie de changer tout ça, une procédure par une procédure, un interne par un interne […]. Docteur Miranda Bailey nous aimerions te remettre un Catherine Fox Award pour ton importante contribution à la médecine cette année. » 

Meredith Grey dans son discours de remise du Catherine Fox Award (S19E20)

Derrière ce grand discours se cache une réalité qui a été abordée tout au long de la saison 19, par le biais de différentes patientes.

Une saison plus subtile qu’il n’y paraît

La plus choquante et la plus évidente est certainement l’histoire de Susan Miles qui décède des suites de complications d’une grossesse extra-utérine (S19E05). Vivant dans un Etat ayant limité les avortements, son gynécologue n’a pas voulu prendre le risque d’enfreindre une loi peu claire sur les interruptions de grossesses exceptionnelles. La jeune femme décide alors de se rendre à Seattle, où l’IGV est encore légale. Malheureusement, dans cette course contre la montre (remplie de rebondissements à la Grey’s Anatomy), Susan meurt d’une hémorragie devant Bailey et Addison, impuissantes et en colère que leur patiente n’ait pu recevoir des soins gynécologiques qui auraient dû lui sauver la vie.

Cette question de risques mortels d’une grossesse extra-utérine avait déjà été scénarisée une première fois, plusieurs années auparavant, à travers le personnage de Christina Yang qui avait dû subir une opération d’urgence.

L’avortement avait d’ailleurs été abordé une seconde fois avec Christina, lorsque celle-ci, enceinte d’Owen, avait exercé son droit d’interrompre sa grossesse, car elle ne voulait pas d’enfant.

Mais pour cette saison 2022-23, la série de Shonda Rhimes se veut plus subtile, avec des parcours de femmes plus variés elle casse cette vision manichéenne qui sous-entend qu’avorter c’est ne jamais vouloir d’enfant.

Être une bonne mère, même sans enfant – Vol. III – Grey's Anatomy sur le pied de guerre
"A ton tour de lui changer la couche" - ©ABC

Dans l’épisode 8, Sierra Deleon, déjà maman de deux enfants et enceinte d’un troisième, a peur d’un autre baby blues suivi d’une dépression post-partum, et choisit donc d’avorter.

« Le préservatif a craqué […], on n’essayait pas d’avoir un autre enfant… Surtout après mes deux autres [enfants]. Attention, je ne dis pas que je n’aime pas mes enfants, je les aime de tout mon cœur, mais j’ai peur que ça revienne. […] Après mes deux accouchements, j’ai ressenti une énorme vague m’emporter. Je les regardais – et je savais que je les aimais -, mais j’étais si fatiguée et à bout… J’étais au fond du gouffre les deux fois. […] Le docteur a appelé ça une dépression post-partum, m’a donné des médocs, des thérapies à suivre, mais rien n’a fonctionné… Ça a duré des mois et des mois. […] Quand j’ai cru que je faisais une fausse couche, ça ne m’a pas fait aussi peur que de revivre [une dépression] et ça ne m’a pas fait aussi peur que l’idée de ne pas pouvoir être là pour mes enfants. » 

Et elle ajoute plus loin dans l’épisode : « J’aime mes enfants, je veux rester en vie pour eux. Aller bien pour eux. Je ne peux pas revivre ça. »

Il faut comprendre ici que la patiente avait peur de se suicider et de ne pas être là pour ses 3 enfants. Car, oui, le baby blues, c’est un joli nom pour une dépression qui touche 50 à 80% des femmes à la naissance de leur enfant. Si cet état est passager, il peut s’installer durablement pour 10 à 20% des femmes qui deviennent alors victimes de ce qu’on appelle une dépression post-partum qui, comme toute dépression, peut avoir comme conséquence extrême le suicide. 

Grey’s Anatomy rappelle donc brillamment que l’heureux événement n’en est pas toujours un et qu’avorter est parfois une meilleure option pour se protéger et protéger ses enfants ou le bébé qui aurait pu naître. Car être responsable d’une autre vie que la sienne, c’est beaucoup de travail, de temps et d’énergie. On sent d’ailleurs le poids de la charge mentale sur Sierra que l’on imagine mal avec un troisième enfant.

L’épisode 11 insiste aussi sur les responsabilités qui accompagnent l’arrivée d’un bébé. Dans cet épisode, la jeune patiente, Marni Young, n’est pas prête à être mère pour l’instant, mais n’écarte pas l’idée d’avoir un enfant plus tard. Cette intrigue sous-entend d’ailleurs que se sentir prêt à être parent n’est pas qu’une question d’argent. Marni n’est tout simplement pas prête mentalement pour accueillir un bébé dans de bonnes conditions.

Être une bonne mère, même sans enfant – Vol. III – Grey's Anatomy sur le pied de guerre
"Bonjour, votre enfant s'est coincé un caillou dans le nez pour voir si ça ressortirait par son oreille." - ©ABC

La vague Grey’s Anatomy

Avec ses plus de 3 millions de spectateurs américains chaque semaine, Grey’s Anatomy apporte sa pierre à un édifice qui tente de protéger le droit des femmes contre des dérives législatives et sociales dangereuses.

Si cela peut paraître n’être qu’une goutte d’eau, c’est peut-être cette goutte d’eau qui pourrait être à l’origine d’une vague d’évolution des mentalités. Une étude antérieure à la saison 19 tend à prouver que plus les questions liées à l’IVG sont abordées régulièrement et sous différents angles, et plus l’impact sur le spectateur sera réel et efficace. Et quand bien même ce dernier ne changerait pas d’opinion sur l’avortement, l’étude montre que la série instruit significativement le téléspectateur sur les procédures peu invasives d’interruption de grossesse.

Là encore, le show de Shonda Rhimes se place en première ligne en devenant l’une des rares séries à mettre en scène un avortement médicamenteux. En effet, en 2022 seulement 6% des personnages de séries américaines avaient recours à une IVG par prise de pilule(s) alors que, dans la réalité, l’avortement médicamenteux représente plus de la moitié des IVG aux Etats-Unis.

Peut-être encore plus surprenant, lorsque le personnage de Sierra Deleon (mentionné plus haut) choisit d’avorter, nous la suivons tout au long du processus d’IVG par aspiration du fœtus, ce qui en a agréablement étonné plus d’un.e sur Twitter :

“Je ne sais pas si c’est une représentation médicale correcte de l’avortement, mais rien que de montrer ça à l’écran c’est juste… super important. »

Il est en effet primordial de le montrer à l’écran pour en finir avec une vision archaïque et barbare de l’IGV. Il s’agit ici de dédramatiser l’interruption volontaire et de rappeler que l’avortement est un acte médical comme un autre (en plus d’être un droit humain fondamental).

Comme l’exprime Amnesty International : « La criminalisation de l’avortement ne fait pas disparaître ces actes médicaux, il les rend juste plus dangereux » et « l’accès à l’avortement sans danger relève des droits humains ». C’est finalement ce qu’a tenté de démontrer Grey’s Anatomy au cours de sa saison 19. On espère maintenant que tout cela fera son chemin dans les têtes des spectateurs dans l’espoir de jours meilleurs.

En attendant, et même après le départ d’Ellen Pompeo, la série doit continuer sa lutte qu’elle a mené depuis des années sur plusieurs fronts que ce soit au niveau du racisme, des inégalités sociales, du droit des personnes LGBTQ+ et dans ce cas précis du droit des femmes, et plus généralement du droit humain.

Partager.

Laisse une réponse