Créateur : Toyoo Ashida
Produit par : Tôei Animation Company
Actrices et acteurs principaux (doublage) : Philippe Ogouz, Jean- François Kopf, Luc Florian
Ma saucisse préférée : la currywurst 
Années de diffusion :  1984-1987
Où la voir : ADN/Blue ray
Synopsis officiel : Après une attaque nucléaire dévastatrice, la Terre n’est plus qu’un vaste désert où l’eau est devenu un bien plus précieux que l’or ou l’argent. Dans ce monde chaotique règne la loi du plus fort. A la recherche de sa bien-aimée, Ken est l’héritier de l’école d’arts martiaux Hokuto. Il utilise son art pour défendre les innocents face à de redoutables experts en arts martiaux.

Ken le survivant (ou Kenshiro si tu es un puriste pour ce qui est du nom du personnage-phare de cette série) est un formidable anime made in années 80. Alors que certains n’y verront qu’un énième manga japonais, Ken sonne comme un peu de douceur dans un monde de brutes et parvient même à réinventer certains courants majeurs de l’Art et des Sciences. Par là, Ken le survivant accède à sa propre identité culturelle.

Côté Sciences médicales, et ce n’est pas rien, Kenshiro peut guérir les gens par attouchements. Non, il n’y a rien de mal dans ce que j’écris, et puis ce n’est pas moi qui le dis mais son pote Rey. En ce sens, Ken n’a rien inventé. Parce que même si elle n’est pas médicalement reconnue et reste conspuée par certains, l’acupuncture n’est pas nouvelle. Kenshiro (de son vrai nom) ne fait qu’en appliquer les préceptes. Il guérit ainsi la petite Lynn de son mutisme post traumatique et Aily de ses vilains souvenirs d’enlèvement et séquestration (non, il n’y a pas Barbie dans cette histoire). Tout ça rien qu’avec les mains. 

Mais tout de même, il faut préciser que c’est bien l’autre application des mains qui fait que Ken reste un personnage inoubliable. Si un passage chez l’ostéopathe te donne droit à des douleurs musculaires pendant plusieurs jours, dis-toi que ce n’est cependant rien en comparaison de Ken qui tripote assidûment ses patients… pardon ses ennemis.

Par une simple application des paumes, Kenshiro parvient – et ce sont des séquences phares – à littéralement faire exploser les corps. Des crânes qui détonnent aux viscères qui s’éjectent de leurs enveloppes, tout n’est qu’une danse macabre mais terriblement salvatrice et esthétique, si on a comme optique la vengeance et la justice.

©Tôei Animation Company
Vous aussi vous attendez l'ostéopathe ? - ©Tôei Animation Company

L’art Renaissance à son apogée

Kenshiro, c’est aussi le survivant des incroyables tableaux de style Renaissance, tels ceux de Fra Angelico ou Pierra della Francesca, au XVème siècle. 

La série présente en effet un extraordinaire retour aux grands classiques de la peinture. J’en veux pour preuve les couleurs fantastiques et farfelues données aux personnages eux-mêmes et/ou leurs accessoires et caractéristiques esthétiques.

Je me suis longtemps demandé comment tel ou tel personnage arrivait à être doté de cette fabuleuse chevelure vert-pomme alors que, quand même, nous sommes en pleine ère post-apocalyptique. Plus de coiffeurs et de petits nids douillets pour faire sa coloration soi-même. J’en suis arrivée à la conclusion que les personnages étaient tous de vrais blonds, mais, et plus majoritairement, tous de vrais rouges, de vrais verts ou de beaux bleus. Un vrai feu d’artifice du 14 juillet. Le manga réinterprète-il les grands peintres de la Renaissance ? Oui. Même parfois, il les sublime.

A la Renaissance par ailleurs, les peintres représentaient bien souvent les bébés comme des adultes mais en taille miniature. Kenshiro fait écho à cette représentation héritée de la Renaissance. Plus de repères lisibles et communs pour l’esprit. Exit les êtres humains à taille standard. Si les ennemis de Kenshiro sont souvent déformés par ce dernier lors de combats singuliers (voir ci-dessus, le passage « explosion des corps »), il en va de même dans leur représentation globale à l’écran. Ainsi, les personnages ennemis, les « gros méchants » et/ou boss sont souvent surdimensionnés ou dotés d’attributs de taille inédite. Ils font alors paraître Ken et sa joyeuse troupe d’amis comme de ridicules insectes alors même que les proportions de ces derniers semblent pourtant tout à fait acceptables et proches des nôtres (ou presque).

Au passage, je pose la question : comment peut-on posséder des musculatures comme celle de Ken et ses copains quand on n’a jamais rien à mettre dans son assiette ? (c’était la question madmaxienne du jour).

Bref, nos méchants sont de vrais badass, et plus encore, ils le sont à l’intérieur comme à l’extérieur. On les fait paraître plus gros, plus larges, massifs et dominants. Une manière de rappeler que loin de se baser sur les apparences, Kenshiro c’est aussi l’âme tranquille qui domine les autres par son état d’esprit à toute épreuve et son mental autant d’acier que laconique.

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Une perspective innovante - ©Tôei Animation Company

Ken et sa langue bien pendue

Enfin, et peut-être est-ce là le plus important, Ken le survivant est un incroyable dictionnaire de répliques et dialogues aussi cultes qu’improbables. En ce sens, la série fait également référence à la langue, parfois même à la littérature. Pour peu qu’on aime les dialogues dénués de sens et attribuables à l’absurde. 

D’une manière générale, les méchants des mangas ont parfois des répliques léchées et sanglantes, aussi inspirées que tragiques. Mais Ken le survivant c’est l’innovation par le dialogue. Les méchants deviennent tout autre, notamment lorsque le climax n’est plus très loin :

Loin d’un banal « prépare- toi à mourir Kenshiro », il n’est pas rare de plutôt entendre quelque chose du genre : « ben où que c’est qu’il est ? » Ce à quoi Ken, non dépourvu d’humour, répondra au détour d’un combat « viens pupuce ».

Par ailleurs, et en réponse à l’évocation de la peinture renaissance et de la glorification de la religion de l’époque, on note également des répliques telles que : « Ah ben si lui fait des miracles, tu peux m’appeler Jean-Baptiste ». Ainsi, le frère de Ken le survivant n’est rien d’autre qu’une réplique édulcorée du petit Jésus. Simplement, et concernant le frangin, j’ai jamais vu quelqu’un distribuer autant de pains à la fois, aux gens (ce qui peut être douloureux aussi).

Et surtout, on découvre que les coups fatals portés par Kenshiro et les autres grands maîtres des arts martiaux ont des attaques spéciales qui valent le détour rien que par leur nom ! Ô surprise – il est bien ici question d’art culinaire. Ainsi, une grande partie des destructions infligées portent des noms sans équivoques :

  • Attaque au haut couteau à viande du doigt de la mort
  • Je suis le roi du Haut Canif
  • Attaque au couteau à huitre
  • Attaque au couteau à beurre
  • Défense du haut couteau à désosser

 

En plus d’être un représentant de l’école de la Grande Ourse, Ken le Survivant serait-il un disciple de Cyrille Lignac ou Philippe Etchebest ? La question reste entière, et d’autres indices semés au cours des épisodes viendront appuyer mes dires, telle cette réplique magique « décidément les temps, comme les œufs, sont durs ».

Finalement, non dépourvue d’humour, la série fait la part belle aux phrases courtes et chocs de type publicitaire : « Je suis la seizième étoile de Nanto, et je me lève tôt ».

Elle met également en exergue des dialogues de sourds, à moins que ce ne soit une interprétation du théâtre de l’absurde tel que l’affectionnaiet Jean-Paul Sartre ou Alfred Jarry : « Mamiya : vous voulez des biscuits ? La petite fille : c’est mon grand-père, il a mangé trop de saucisson ».

Vous l’aurez compris, le manga illustre toute la beauté de notre langue tout en la renouvelant, tant les conversations entre personnages sont savoureuses et empreintes de génie *.

©Tôei Animation Company
Tu ne le sais pas encore mais tu es déjà mort - ©Tôei Animation Company

Ken le survivant est donc pour toi l’occasion de voyager à travers les Sciences et les Arts (parfois la cuisine) tout en découvrant la magie des mangas des années 80. Tu connaîtras bientôt tous les coups à porter à tes adversaires en même temps que ta batterie de cuisine et savoureras désormais ces peintures complètement délirantes qu’on t’a forcé à voir dans les musées où on a pu te traîner. Désormais, à toi également les études de médecine et les attouchements autorisés. Ken le survivant c’est la quintessence d’une époque et d’un art de vivre qui te permettra de hurler de grands “tatatatatatatatatatata” tout en arborant une crête bicolore sur le crâne sans paraître ridicule pour autant . Culturellement parlant, Ken le survivant est un grand classique qu’il faut connaître, et tu aurais tort de t’en priver.

 *En réalité, l’anime Kenshiro est fascinant de par sa propre histoire. Je te conseille en particulier le savoureux Philippe Ogouz qui nous explique comment il a réussi à faire passer des tas d’épisodes avec des doublages de dingues : Je faisais les doublages dans « Ken Le Survivant » (vice.com)

Pour les mangas des années 1980 en général, tu peux éventuellement aussi t’appuyer sur cet article de moins bonne facture mais intéressant d’un point de vue global : La voix des méchants de Nicky Larson s’est éteinte (lefigaro.fr)



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