Créateur : Jonathan Nolan
Produit par : CBS
Actrices et acteurs principaux : Jim Caviezel, Taraji P. Henson, Kevin Chapman, Michael Emerson, Amy Acker & Sarah Shahi
Villes américaines que j’ai visitées : New York, Los Angeles
Années de diffusion : 2011-2016
Où la voir : DVD/Blu-Ray, VOD
Synopsis officiel : Un agent paramilitaire de la CIA, présumé mort, est recruté par un millionnaire reclu pour travailler sur un projet top-secret : prévenir le crime avant qu’il ne se produise ! Un ingénieux programme élaboré par Finch identifie chaque jour des personnes qui vont être impliquées dans un crime. Victime ou coupable ? Reese va devoir mener l’enquête pour découvrir qui est en danger et empêcher qu’un nouveau meurtre soit commis…

Les Etats-Unis surveillent la planète grâce à une superintelligence artificielle

Aux Etats-Unis, deux lanceurs d’alerte confirment qu’une « Machine » est capable d’espionner les habitants du monde entier.

Les Etats-Unis surveillent la planète grâce à une superintelligence artificielle
Source ACP

La semaine dernière, Glaine Grinewalde révélait, dans un article du Guardian, l’existence d’un programme de surveillance à grande échelle appelé « Northern Lights ». Documents top-secret à l’appui, le journaliste divulguait la mise en place de ce système après le 11 septembre, pour empêcher un autre attentat.

Si depuis plusieurs jours, le sénateur Garrison assure qu’un tel programme de surveillance massive n’existe pas, les deux informateurs, jusqu’ici anonymes, ont décidé de sortir de leur silence.

Dans un long entretien, face caméra, Nathan Ingram et Alicia Corwin se sont confiés à la documentariste Laure Poitrasse, incriminant un peu plus le gouvernement américain.

Dans cette vidéo de près de 50 minutes (publiée en ligne avant de disparaitre), tous deux avouent avoir pris part au projet Northern Lights, comme l’explique Nathan Ingram :

« J’ai servi d’intermédiaire entre le créateur de la Machine et Alicia. Et Alicia, travaillant pour le National Security Council, se chargeait de jouer les intermédiaires avec le gouvernement. »

Les Etats-Unis surveillent la planète grâce à une superintelligence artificielle
Alicia Corwin et Nathan Ingram - Source ACP

Selon les deux lanceurs d’alerte, la Machine serait une superintelligence artificielle, aux capacités presque illimitées, capable d’observer et d’écouter n’importe qui, n’importe quoi, n’importe où et n’importe quand.

« Les Etats-Unis ont plongé dans une psychose collective »

Les documents révélés font état de 54 attaques terroristes évitées entre 2005 et 2009, avec une estimation de 4000 vies sauvées. Si ces chiffres paraissent non négligeables, dans son témoignage, Alicia Corwin rappelle qu’il faut les interpréter avec du recul :

« Après le 11 septembre, les Etats-Unis ont plongé dans une psychose collective, parce que c’était inédit, parce que les images étaient en boucle sur toutes les chaines, parce que c’était la première fois qu’un attentat aussi meurtrier survenait sur notre sol. Et le gouvernement Bush a décidé de maintenir ce traumatisme et cette paranoïa pour justifier ses agissements aux Moyen-Orient. […] Je suis ravie que la Machine ait sauvé des milliers de vies pendant toutes ces années, mais la question qu’on doit se poser est : ‘à quel point le terrorisme menace-t-il notre pays ?’ Je veux dire, regardez d’autres chiffres : plus de 20 000 personnes meurent de diabètes chaque année aux Etats-Unis, 14 000 se suicident, 40 000 autres sont victimes d’une overdose, sans parler des accidents de la route ou des armes à feu. […] Oui, le terrorisme est une menace, mais est-ce la plus grande menace pour notre pays ? Je ne crois pas. »

Les documents tendent aussi à montrer que, en dépit de bons résultats, Northern Lights n’est pas la solution parfaite. En effet, l’une des archives du Pentagone, publiée par Glaine Grinewalde, fait état de plusieurs victimes de « faux positif », dont Aziz Al-Ibrahim. Ce père de famille, ciblé à tort comme terroriste par la Machine et les services de renseignements, a mis fin à ses jours après avoir perdu la garde de son fils. Son frère, Peter Collier, a porté plainte contre la Maison-Blanche et a déclaré :

« Il est temps que le gouvernement paye pour ses actes. On a étiqueté mon frère comme un coupable, avant de se renseigner sur son innocence. Certains diront que les innocents ne se suicident pas. Je leur réponds que les personnes qui ont perdu tout espoir peuvent le faire. Est-ce que ceux qui sont derrière cette Machine ont idée des dégâts qu’une telle chose peut causer ? »

Les Etats-Unis surveillent la planète grâce à une superintelligence artificielle
Peter Collier - Source ACP

Dans un communiqué, les deux lanceurs d’alerte ont présenté leurs excuses aux familles des victimes :

« Lorsque nous avons débuté ce projet, le but était de sauver des vies, pas d’en détruire. […] Nous n’avions pas mesuré les conséquences négatives de ce que nous créions. Nous présentons nos sincères excuses à toutes les victimes et à leurs familles. »

Dans l’entretien accordé à Laure Poitrasse, Nathan Ingram évoque également les négligences du gouvernement américain.

« Le pire dans tout ça, c’est que la Machine n’a pas empêché autant de morts qu’elle aurait pu. Il faut savoir que l’intelligence artificielle communique par le biais de numéros qu’elle transmet aux services secrets. C’est un moyen de dire : ‘regardez, il y a quelque chose de louche avec cette personne-ci’. Dans le cas de terrorisme, on parle de ‘numéros pertinents’, mais la Machine voit tout, même les crimes impliquant des citoyens ordinaires. Donc le gouvernement aurait pu empêcher de nombreux meurtres en prêtant attention aux numéros dits ‘non-pertinents’, mais n’a rien fait. »

Nathan Ingram explique d’ailleurs que c’est ce point particulier qui l’a poussé à révéler l’existence d’une telle surveillance :

« Quand nous avons commencé le projet, j’avais conscience que, d’une certaine manière, nous violions les libertés individuelles, mais j’étais au même niveau que mes concitoyens : la Machine me surveille aussi et ne fait pas de différence entre moi et mon voisin. Et puis, j’étais bien plus à l’aise avec cette idée que ce soit une intelligence artificielle qui surveille mes moindres gestes plutôt que de vraies personnes. D’ailleurs, si aucun humain ne peut voir ce que la Machine voit, alors techniquement aucun des droits du 4ème amendement n’a été violé. Mais je dis bien ‘techniquement’ car c’est surtout la réinterprétation du Patriot Act qui nous a aidés à mettre en place une telle surveillance. »

Aux Etats-Unis, la vie privée est protégée par le 4ème amendement de la Constitution américaine, qui garantit que le droit des citoyens dans leur personne, leur domicile, leurs papiers et effets, ne sera pas violé par le biais de perquisitions non motivées, et qu’aucun mandat ne sera délivré sans présomption sérieuse.

Or, plusieurs experts admettent que le Patriot Act – et en tout cas son interprétation – a permis de légaliser la Machine, en accordant des mandats sur simple ‘suspicion raisonnable’ de terrorisme. Ce qui signifie que le moindre prétexte peut permettre d’espionner tout le monde.

« La Machine nous observe et nous écoute en ce moment même »

C’est d’ailleurs les larmes aux yeux qu’Alicia Corwin décrit l’effet dévastateur d’une telle surveillance sur sa santé mentale :

« J’en étais arrivée à un stade où je pouvais sentir le poids de cette surveillance sur mes épaules. Et je la sens toujours. La Machine nous observe et nous écoute en ce moment même, on ne peut pas se cacher. Je me sens exactement comme le personnage de George Orwell dans 1984, j’ai l’impression d’être contrainte de me maîtriser en permanence, de ne pas pouvoir agir naturellement, de m’auto-censurer. »

Interviewé par la chaîne Ted, Glaine Grinewalde précisait à quel point cette liberté est importante dans les démocraties : 

Sous-titres disponibles en français

Si Nathan Ingram et Alicia Corwin exposent différents éléments qui les ont poussés à révéler l’existence de la Machine, tous deux s’accordent à dire que l’apparition d’une autre intelligence artificielle menaçait encore plus nos libertés.

C’est le ton grave que l’ancienne intermédiaire du National Security Council s’est exprimée devant Laure Poitrasse :

« Malheureusement, vous ne trouverez aucune trace de ce nouveau programme dans les documents que nous avons fournis à Glaine, mais croyez-nous, Samaritain [ndlr. la nouvelle intelligence artificielle] est encore plus liberticide et dangereux que la Machine. […] Pour faire simple, la Machine est un système fermé, ce qui veut dire qu’on ne peut rien lui demander directement. Elle se contente de pointer du doigt les personnes qu’il faut surveiller. En revanche, Samaritain est un système ouvert. Donc quiconque y a accès peut se renseigner sur n’importe qui, et même pire demander à Samaritan d’interférer dans la vie de n’importe qui. »

Documents révélés par Nathan Ingram et Alicia Corwin

Nathan Ingram précise :

« Le créateur de la Machine a mis un point d’honneur à ce que celle-ci soit autonome et qu’aucun humain ne puisse y avoir accès, pas même lui. Autant vous dire que ça n’a pas plus aux services secrets. Le gouvernement a donc cherché à mettre la main sur un système plus accommodant, et est en train de passer un marché avec un homme qui ne leur cédera pas Samaritain, mais qui est d’accord pour mettre les capacités de son système aux services de la surveillance, si, et seulement si, lui-même a toujours accès à Samaritain et à toutes les données collectées. Qui sait ce que cet homme ou notre propre gouvernement sera capable de faire avec de telles données. On peut imaginer de nombreuses dérives à partir de là. […] Vous avez regardé du porno. Ce n’est pas illégal pourtant, on pourrait décider de vous faire chanter. […] Vous décidez de monter une start-up avec une idée brillante, on pourrait très bien vous la voler. […] Mais ça, ce ne sont que des exemples gentillets. Imaginez ce qu’un gars comme Trump pourrait faire avec ces données… »

Si les révélations sont accablantes et posent de nombreuses questions, le président Joe Biden ne s’est pas encore exprimé après la diffusion du témoignage des deux lanceurs d’alerte. La semaine dernière, la Maison-Blanche avait choisi de jouer la carte du déni devant les preuves révélées par Glaine Grinewalde, expliquant que la Machine était un projet qui n’avait jamais abouti et que les chiffres visibles sur les documents étaient de simples estimations.

Entre fiction et réalité

En juin 2013, Edward Snowden, un employé de la NSA, révèle à Laura Poitras et Glenn Greenwald (et non Laure Poitrasse et Glaine Grinewalde) des documents prouvant la surveillance de masse, orchestrée par les Etats-Unis. Les divers programmes de surveillance pour collecter les données (Upstram et PRISM) et les trier (X-KEYSCORE) ne sont pas sans rappeler les capacités de la Machine de Person of Interest.

A travers sa fiction d’anticipation, Jonathan Nolan nous propose de réfléchir à une phrase prononcée par Barack Obama après les révélations de Snowden : « Je pense qu’il est important de reconnaître que vous ne pouvez pas avoir 100% de sécurité, et également 100% de vie privée, et zéro inconvénient. »

Si la série anticipe légèrement notre présent, les questions liées à l’intensification de la société d’information et de la surveillance globalisée, sont, elles, déjà bien d’actualité. Jusqu’où sommes-nous prêts à négocier notre vie privée ? Chacun aura – ou pas – sa propre réponse, mais Person of Interest constitue une aide intéressante pour se rappeler que, même si nous n’avons rien à cacher, les conséquences d’une intensification de la surveillance pourraient être désastreuses pour nos libertés.