Réalisateur : Laura Wandel
Scénariste : Laura Wandel
Actrices et acteurs principaux : Maya Vanderbeque, Günter Duret Karim Leklou
Mon passe-temps du moment : gober des mouches
Date de sortie : 26 janvier 2022
Où le voir : Arte boutique
Synopsis officiel : Nora entre en primaire lorsqu’elle est confrontée au harcèlement dont son grand frère Abel est victime. Tiraillée entre son père qui l’incite à réagir, son besoin de s’intégrer et son frère qui lui demande de garder le silence, Nora se trouve prise dans un terrible conflit de loyauté. Une plongée immersive, à hauteur d’enfant, dans le monde de l’école.
Aux dernières infos françaises écoutées, j’apprends qu’un collégien se suicide, que le gouvernement entend « agir » et qu’à présent des parents et proches pleurent. Le harcèlement scolaire est un phénomène qui n’est pas nouveau. Il tend cependant à se généraliser et à s’amplifier.Le film Un monde nous explique et montre comment cette montée en violence voit le jour et grandit. On se retrouve sur les bancs de l’école et on assiste impuissant au développement d’une histoire basée et débouchant sur du harcèlement scolaire. Aussi quels sont les mécanismes qui se jouent entre les divers protagonistes de cet environnement. Surtout, la violence naît et se développe dans tout milieu et à tout âge.

Marche ou crève
Concernant ce temps qu’est l’École, à bas les idées reçues d’abord. Un monde est en fait un établissement scolaire, un espace bien délimité qui, une fois ses portes franchies, applique ses propres règles et appuie sur chacun des protagonistes de manière aléatoire et complexe. Le lieu conditionne déjà à lui seul les esprits semble-t-il, il est une entité vivante. Ce monde semble régi par les adultes au premier coup d’œil, mais pas tous les adultes. Les enseignants, le personnel de l’Education Nationale – essentiellement – pensent diriger ce monde qu’est l’école. Ils en appliquent les textes et lois, sacralisent des éléments que toi ou moi avons parfois connus, comme la session piscine ou les bavardages d’enfants dans le bac à sable autour de l’épineuse et existentielle question du sort de l’oiseau mort qui gît précisément à cet endroit.
D’ailleurs, dans ce monde, on lit à tour de rôle et on fait de la dictée au mot, comme auparavant, comme pour faire comprendre que certaines choses semblent figées dans le temps, le temps de l’école.

L'origine d'un monde
Mais dans Un monde, ce ne sont pas toujours les adultes qui gouvernent l’école. Et pour cause, ils sont tellement mauvais qu’ils restent souvent inutiles, coincés qu’ils sont dans leur rôle et leur posture d’adulte, leur manque d’ouverture sur le monde (d’enfants). On découvre ainsi à quel point les adultes évoluent en parallèle de la logique des enfants qu’ils sont censés éduquer et protéger. Ces derniers finissent parfois même, et fatalement, par les remplacer, créant ainsi une sorte de dimension secondaire animée de sa propre dynamique.
Telle l’histoire de l’œuf et la poule, on se demande : mais d’où cela est-il venu au départ ? Comment laisser possible cet enchaînement de violences contre cet élève qui fatalement aura à terminer sa course et mettre fin à son douloureux parcours ? En restant des adultes et en ne se mettant plus à hauteur et dans les yeux des enfants. En restant, plus précisément, dans une logique d’adulte agissant dans une école, celle où est seulement autorisée la morale scolaire, la bienséance, la politesse, le socialement acceptable. Les enfants finissent par instaurer leurs propres règles et donner à ce qu’ils nomment leur « monde » – l’école – des contours et des codes insoupçonnés.
Une fois un élève ciblé car jugé comme différent, il devient martyr puis se trouve isolé, brisé et coupé des autres. On le rejette mais devant obéir aux règles de son environnement d’enfant, il tait sa souffrance.

L'école, cette quatrième dimension
Ce faisant, le film dévoile des bribes de cet écosystème enfantin et dangereux aux vérités affirmées et discutables : “les racistes sont des gens qui n’aiment pas les autres”, ou encore “un chômeur c’est quelqu’un qui ne veut pas travailler et il attend toute la journée qu’on lui donne de l’argent. C’est un paresseux” ; « si tu avais un vrai travail, tu pourrais pas venir à la récré ».
C’est un monde froid et dur. Seuls évoluent des adultes surmenés mais pas débordés par les tâches du quotidien et des enfants dont le rôle vise précisément et paradoxalement, à gérer et administrer au mieux ce monde. Il y règne une impression permanente de matinée, auréolée de bleu et de gris. On y découvre des enfants, simplement beaux et innocents, attachants et naïfs. Ce film, c’est aussi voir ces êtres qui ne sont pas à nous mais nous appartiennent cependant (merci magie du cinéma) et sont magnifiques. L’atmosphère nous imprègne de quelque chose d’à la fois étrange et familier. On sent un orage arriver, autrement dit un événement à fort impact dans ce vase clos.
On se met alors durant plusieurs séquences, littéralement, à hauteur d’enfant. Tout comme eux, on subit les tourmentes, les désillusions créées de toutes pièces par des adultes.
Leurs corps renvoient à ma propre enfance, par le prisme d’une scolarité finalement pas si dégueu que ça en comparaison de ce qui va arriver dans le film.
Les contraintes exercées par les adultes se font d’ailleurs et d’abord sur les corps des enfants. Les personnels de l’école dominent toujours étant donné leur hauteur et point de vue. Ils préfèrent ainsi demander à un élève en souffrance de se cacher plutôt que de discuter avec lui. On fait se sentir coupable l’être malmené. L’adulte exerce irrémédiablement des violences lorsqu’il oblige un élève à dire pardon à un autre dans mise en scène écœurante de réconciliation, ou lorsqu’il force le contact physique entre des enfants qui n’ont pu apaiser leur conflit par le prisme de leurs propres règles ou logiques. La fameuse photo faite à l’école révèle ce qu’elle est parfois réellement : une apparence de bonne entente entre frères et sœurs.
La violence adulte prend aussi le relais par les paroles blessantes devant le reste de la classe : «quand tu seras d’accord pour faire ce que je te dis, tu pourras venir ».
Certains adultes arrivent parfois à être à portée de ces âmes d’enfants et de leurs souffrances, mais de manière fugace, et écrasée par la dimension rigide et scolaire de cet environnement. Il en va ainsi du père de famille, attentif aux paroles de ses enfants, mais bloqué dès la grille de l’établissement scolaire ou de la jeune professeure dont une partie d’elle-même semble encore rattachée à cette enfance cruelle.

Enfin, l’ultime étape se fait dans la passation et donc la multiplication de la violence. Le torturé devient bourreau. Lui, a assimilé les codes là où sa sœur a résisté au système agressif qui l’entoure et à l’abandon des adultes. En appliquant les règles qu’il a désormais faites siennes, il cherche à se faire accepter.
S’ensuit alors l’acte cruel et attendu envers un autre élève.
Mais l’arrêt volontaire de la violence se fond dans le geste à la fois fort et d’amour d’une sœur pour son frère. Le film interroge aussi en ce sens sur l’arrêt de cette brutalité enfantine. N’y aura-t-il donc encore que les enfants pour se prémunir entre eux du déchaînement de leurs pairs face aux défaillances des adultes.
S’il y a défaillance, c’est qu’il n’y a pas la volonté de s’intéresser, de porter secours et d’interroger sur des pratiques qui se déroulent sous leurs yeux mais restent invisibles pour eux. Dans Un monde, les enfants prouvent que comme dans beaucoup d’autres situations et films, ils sont ceux qui peuvent donner encore un peu plus d’amour pour rendre les choses meilleures.