Réalisateur : Sandrine Kiberlain
Scénariste : Sandrine Kiberlain
Actrices et acteurs principaux : Rebecca Marder, India Hair, André Marcon, Anthony Bajon
Le premier film que j’ai vu avec Rebecca Marder : Demandez la permission aux enfants (j’avais 12 ans)
Date de sortie : 26 janvier 2022
Où le voir : support physique, VOD
Synopsis officiel : Irène, jeune fille juive, vit l’élan de ses 19 ans à Paris, l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre… Irène veut devenir actrice et ses journées s’enchaînent dans l’insouciance de sa jeunesse.
Avec Une jeune fille qui va bien, Sandrine Kiberlain pousse à son paroxysme le concept de fin ouverte si souvent rencontré dans les films français pour le pire, mais cette fois-ci pour le meilleur.
Il va sans dire que l’article te spoile la fin du film.
Et ça commence maintenant !
Le premier film de Sandrine Kiberlain raconte l’histoire d’Irène, une jeune fille qui vit sa 19ème année sous l’occupation allemande. En tant que comédienne, elle rêve d’intégrer le conservatoire et s’y prépare assidûment sans jamais perdre sa joie de vivre.
Dans la dernière scène, Irène et ses camarades, assis dans un coin du café, attendent les résultats avec une certaine excitation. Ils s’amusent, se déhanchent au son du violon, de la contrebasse et de la clarinette, discutent de l’avenir et de leurs aspirations. Ici, la réalisatrice et scénariste nous propose de partager, une dernière fois, un moment d’insouciance et de légèreté, avant que les horreurs de la guerre ne viennent tout emporter. Insidieusement, dans cette scène aux apparences frivoles, s’immisce la haine de l’autre. « Jaune sur noir, c’est joli » balance la serveuse devant une Irène toute gênée, qui tente de cacher son étoile avec son bras. Elle ne se doute pas de ce qu’elle s’apprête à vivre.
Alors que la bonne humeur règne toujours dans le café, la serveuse ne peut détacher ses yeux de la protagoniste et finit par la dénoncer à un homme en noir qui se place derrière elle (voir l’image ci-dessous). Irène ne le voit pas, et, encore naïve, parle de ses espoirs après le concours : « Moi, tu sais, si je l’ai… [FONDU AU NOIR PENDANT 10 SECONDES, PUIS GÉNÉRIQUE] »

Voilà comment se termine Une jeune fille qui va bien. Je dois avouer que, l’ayant regardé sur Canal VOD, j’ai d’abord cru à un problème de Wifi. On parle tout de même de 10 secondes de fondu au noir avant que le premier nom au générique n’apparaisse.
Ensuite, plusieurs émotions se sont bousculées en moi :
- Je suis tout d’abord restée bouche bée et il m’a fallu un instant pour digérer ce qu’il venait de se passer.
- Ensuite, j’étais agacée de cette fin si abrupte et si ouverte.
- Puis est venu – non pas la satisfaction d’une résolution si tragique – mais le contentement d’avoir assisté à une fin qui remplit sa fonction en étant parfaitement en adéquation avec le message global du film.
C’est de ce troisième point que je veux te parler ici.
La fin d’Une jeune fille qui va bien est comparable, selon moi, à celle de Black Swan. C’est-à-dire que ce n’est pas la résolution que l’on souhaite pour le personnage principal, mais c’est celle qui fait le plus sens, celle qui concorde avec le reste du récit et qui en fait une fin parfaite.
Comme le titre l’indique, Sandrine Kiberlain nous conte l’histoire d’ « une jeune fille qui va bien » (et du moins qui fait tout pour). Quand les choses tournent mal, il n’existe plus aucune raison logique de continuer le récit, car la guerre et l’occupation sont toujours abordées de manière indirecte, toujours à travers le personnage d’Irène.
Tout le monde est censé connaître les événements marquants de la Seconde Guerre mondiale et le processus de la Shoah ; on ne compte d’ailleurs plus le nombre de fois où cette période à été portée à l’écran. La cinéaste n’a donc nul besoin de nous faire un cours d’histoire et peut pleinement se concentrer sur ce qu’elle veut nous raconter :
« Je me suis toujours demandé ce que j’aurais fait à cette époque. Comment ça a basculé et comment on vivait le quotidien avant que ça ne bascule. Et j’ai trouvé l’idée de parler de cette histoire par le prisme d’une jeune fille juive et française qui ne veut pas voir. Parce qu’à 19 ans, on est pressé. On est percuté par les mauvaises nouvelles et puis on retourne au cours de théâtre, voir son amoureux… Une jeune fille qui va bien est un film sur la vie. Irène ne peut pas imaginer ce qui va se passer. Nous, on connaît malheureusement l’histoire. » – Sandrine Kiberlain (entretien avec Ouest France)
A mon sens, la réalisatrice souhaite montrer cette jeunesse insouciante fauchée par le sérieux de la guerre. C’est ce qui rend la scène finale particulièrement réussie. On ne verra pas Irène terminer sa phrase parce qu’elle est rattrapée soudainement par cette brutale réalité que représente l’homme en noir. Sera-t-elle arrêtée ? Déportée ? Très certainement. Quoi qu’il en soit, plus aucun futur ne semble imaginable pour elle.
Après avoir passé une heure trente à rêver aux côtés de cette jeune fille qui allait bien, nous ne pouvons réécrire le cours de l’histoire, dont le seul dénouement possible, pour Irène, semble être la mort à même pas 20 ans.
Sandrine Kiberlain nous met à la place de Viviane, l’amie non-juive d’Irène, qui assiste impuissante et tétanisée à toute la scène. Rien qu’en regardant les expressions de son visage, on devine qu’elle prend enfin conscience de l’effroyable nouveau monde qui les entoure (voir image ci-dessous). Désormais, elle sait. Elle sait que c’est la fin pour son amie. Elle sait que plus jamais rien ne sera comme avant. En quelques secondes, elle aussi bascule dans l’après, quand elle voit cet homme se tenir debout derrière Irène.

De façon très intelligente, la cinéaste choisit de montrer un homme sans signe distinctif, portant une veste en cuir noire et dont on ne voit pas le visage. S’il s’agit sans doute d’un Nazi (SS ou Gestapo), il représente, à lui seul, la noirceur des guerres et des crimes contre l’humanité. Sandrine Kiberlain ne nous propose donc pas seulement un film qui traite de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste, mais bien une histoire intemporelle qui fait écho à notre actualité. A travers Une jeune fille qui va bien, elle dénonce les folies et abominations de notre monde qui fauchent tous les jours la vie de jeunes (et moins jeunes) gens qui allaient bien.